Du fil à retordre | Le 23 avril 2018 | Aujourd'hui, à l’occasion de la semaine de la Fashion revolution, on décortique la production du maillot de corps à manches courtes. Du quoi ? Ah, du t-shirt ! Pour cela, nous laissons la parole à une fleur de coton. Avant de vous laisser, nous réitérons chaleureusement notre invitation à fêter le soleil avec l’équipe, aux Retrouvailles qui auront lieu demain. | | "Son nom l'indique : le t-shirt n’est pas de chez nous ! C’est par moi que tout commence : une petite fleur de coton. Ma douceur et ma capacité à conserver la chaleur font de moi un matériau idéal de confection. Toutefois, commençons par le début. Je suis née dans une exploitation agricole en Louisiane, aux États-Unis. Comme la plupart de mes sœurs américaines, mon ADN a été modifié pour me rendre résistante aux pesticides, contrairement aux parasites. C'est un avantage pour moi, mais une agriculture biologique prendrait davantage soin des champs et de la terre : on y utilise moins de produits chimiques. Des pesticides, j'en ai vu passer ! Rendez-vous compte : sur l'ensemble de la planète, nous, les fleurs de coton, ne représentons que 2,5 % des terres agricoles, mais nous consommons 25 % des insecticides. Nous sommes également gourmandes en eau : il faut en moyenne 10 000 litres d'eau pour irriguer un kg de coton. | C’est coton ! | Viennent l’automne et le temps de ma récolte ( au tracteur agricole, pour moi !), mais ce n’est pas le cas pour toutes mes consœurs américaines. J'ai été plantée dans un pays dans lequel ne sont pas très strictes (PDF), niveau travail, et des enfants sont parfois employés comme main-d’œuvre bon marché. Ce ne sont peut-être pas mes affaires de fleur, mais il me semble que les enfants feraient mieux d’aller à l’école plutôt que de respirer des pesticides et de porter ces lourdes charges. | Plus généralement, le coton est le deuxième secteur agricole où il y a le plus de travail d’enfants et de travail forcé. Ce n’est pas bon pour ma réputation, ça ! Ce rapport de 2012 liste les 19 pays concernés : la Chine, l’Égypte… En Inde, certains semenciers endettent les familles pauvres, forçant leurs enfants à travailler. Cependant, c’est surtout l'Ouzbékistan qui fait parler de lui. Le gouvernement emploie les gens de force, en menaçant de désinscrire les étudiants ou de renvoyer les employés, privés comme publics. Près de 3% de la population est ainsi « recrutée ». L'État rachète ensuite le coton en dessous des prix du marché, pour se faire une marge à la revente. | Après la récolte, il est temps de couper le cordon ombilical. Direction l’usine d’égrenage, où mes fibres de coton sont séparées de leurs graines, avant d’être assemblées en ballots de coton. | De fil en aiguille | Mes fibres sont ensuite transformées en un fil de coton dans une filature, qui sera tricoté — à la différence des chemises et des jeans, pour lesquels il est tissé (vidéo). Ces étapes-là de ma vie ont lieu en Chine, où sont situées la moitié des filatures de la planète (ENG). Le salaire moyen s’y améliore peu à peu, ce qui profite aux employés. Malheureusement, pour éviter les coûts, les grandes marques de distribution préfèrent recourir à des pays où les employés sont bon marché, comme le Vietnam, l’Inde ou le Bangladesh. Les conditions de travail y sont souvent difficiles voire même carrément dangereuses : en 2013, l'usine de confection textile du Rana Plaza s’effondrait, faisant plus de 1 000 morts et de nombreux blessés. Le vieillissement du bâtiment avait été détecté, sans réaction. C’est en commémoration de ce drame qu’a lieu la Fashion revolution cette semaine. | Une fois devenue un rouleau de coton, je passe à la teinture. C'est une étape à risque, elle aussi : des produits chimiques tels des métaux lourds (plomb, chrome) sont souvent utilisés. Ils pollueront ensuite les rivières s'ils ne sont pas traités en sortie d'usine. | On perd le fil | C’est aussi en Chine que je croise des consœurs provenant du monde entier, beaucoup en provenance d'Ouzbékistan, cinquième exportateur de coton du monde. Comme j’aime bien me mêler à d’autres fleurs pour papoter, il est difficile de garder ma trace ! On s’y perd même tellement, entre les négociants, les grossistes et autres intermédiaires de la chaîne que la plupart des grandes marques de vêtements ne savent pas d’où leur coton est originaire... Aucune des 100 plus grandes marques et détaillants de mode et de vêtements ne publie l’origine de ses matières premières. Il y a fort à parier qu’ils ne la connaissent pas eux-mêmes, cette filière étant très compliquée à tracer. Cependant, sous la pression des consommateurs et des ONG, les choses avancent. Aujourd’hui, une marque sur trois publie la liste de ses fournisseurs directs, contre une sur huit l'année précédente. | Y’a plus de saisons | Reprenons : après ma transformation en t-shirt, je fais le trajet Chine-France pour être vendue dans une grande enseigne, à prix cassé : si les soldes et promotions concernaient autrefois un vêtement sur quatre, aujourd’hui, 40 % des vêtements sont vendus à prix réduit. Près d’ un vêtement sur deux est donc vendu en solde ou en promotion ! Difficile pour le consommateur de connaître le juste prix… Certaines marques vont même plus loin. Mes parents me racontaient que voici peu de temps encore, en France, les marques sortaient deux collections par an : printemps-été pour les vêtements légers, automne-hiver quand il faisait froid. Aujourd’hui, les collections sont parfois renouvelées toutes les deux semaines ! C'est ce qu'on appelle la fast-fashion. Les modes se succèdent vite et les vêtements ne sont pas fabriqués pour durer. | Filer un bon coton | Néanmoins, avec une prise de conscience croissante de la population, les grandes marques du prêt-à-porter font aussi quelques efforts. Selon l’ONG Textile exchange, qui s’engage pour un marché du textile plus responsable, C&A, H&M et Carrefour font partie des 10 détaillants qui vendent le plus de coton biologique. Toujours selon Textile exchange, seul 0.43 % du coton produit mondialement est biologique. C'est donc souvent du coton comme moi que vous retrouverez dans vos boutiques. | | Les enseignes se mettent au vert ? | Une autre initiative, assez controversée, est le label BCI (Better cotton initiative), qui veut améliorer la gestion des pesticides, des sols et de l’eau dans l’agriculture conventionnelle. Si vous trouvez ce label, ça veut dire que la marque participe financièrement au projet, sans garantie sur les taux de pesticides dans le t-shirt en question. En soi, cette démarche est une bonne chose, si ce n’est que certains fermiers se détournent du bio pour adhérer à BCI, qui paie mieux tout en autorisant les pesticides. | Pour plus de garanties sur votre coton, faites plutôt confiance aux labels suivants : | - Organic cotton, dont tout le coton est biologique ;
- Max Havelaar, qui assure un revenu décent aux producteurs ;
- Oeko-tex® Standard 100 assure l'absence de produits chimiques dangereux dans les vêtements ;
- GOTS (Global organic textile standard) regroupe les trois critères : bio, équitable et sanitaire.
| | Tous les textiles sont dans la nature | Vous vous dites peut-être que le mieux est encore d’éviter le coton. Il est vrai que mes cousines germaines polluent moins, comme le lin, le chanvre ou bien des copains de synthèse peu polluants, comme le lyocell. Malheureusement, vous trouverez probablement plus facilement du polyester, qui pollue les eaux par la libération de microfibres de plastique lors du nettoyage, ou encore de la viscose, fabriquée à partir de cellulose de bois par un procédé coûteux en énergie et en eau. Voici un classement écologique complet des différentes fibres. | « On ne fait pas de toile neuve avec de vieux cotons (proverbe Turc) » | Revenons à nos moutons, car j’attends avec impatience mon acheteur ! J’espère qu’il ou elle prendra soinde ce t-shirt, pour que je dure. Cependant, même en étant chouchoutées, nous autres, fibres de coton, finissons par nous user. Ou passerons-nous notre retraite ? | Une possibilité est de donner vos vieux vêtements : en 2013, les Français auraient déposé près de 200 000 tonnes d'habits usagés dans les conteneurs de collecte. Si une petite partie est revendue en friperie, les habits trop abîmés, en bout de course, finissent en décharge. Quand au recyclage, il est compliqué quand le coton est teint ou qu'il est mélangé à d'autres matériaux. | Aujourd'hui, acheter moins et choisir mieux reste peut-être la meilleure façon de prendre soin des fleurs de coton qui dorment dans vos penderies : c'est la slow-fashion (vidéo). Il s'agit d'acheter des vêtements avec à l’esprit l'idée de les faire durer, par exemple ceux de la marque pour homme LOOM. Pour s’habiller comme on l’entend, on peut faire un tour dans les friperies, ou même louer un vêtement pour une occasion spéciale ! Chiche ?" | | Et là, vous vous dites "Mince alors c'est déjà fini l'histoire..." . Et non, justement, cette semaine LundiCarotte vous propose en exclusivité de prolonger avec ce petit quiz fait maison ultra-rapide de 3 questions vous permettant de voir si vous êtes devenus une star du monde du t-shirt. À demain aux Retrouvailles où à la semaine prochaine ! | Alix Dodu et Paul Louyot |
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