Alors que les plateaux télévisés s’écharpent autour de la nocivité comparée du Kinder Bueno et d’une centrale nucléaire, LundiCarotte mêle son grain de sucre avec cet article dédié au saccharose.
/!\ Attention, article dur à avaler !
À votre santé, chers lecteurs ;)

Cassons du sucre

Le 26 septembre 2022
Alors que les plateaux télévisés s’écharpent autour de la nocivité comparée du Kinder Bueno et d’une centrale nucléaire, LundiCarotte mêle son grain de sucre avec cet article dédié au saccharose.
/!\ Attention, article dur à avaler !
À votre santé, chers lecteurs ;)
Vignette de l'article Cassons du sucre

Quelques repères chimiques, botaniques, et historiques

Commençons par le commencement. Au commencement, il y a une molécule de saccharose, qui se trouve naturellement dans une grande variété de végétaux, pour la plupart des fruits. Cette molécule a deux particularités : sa douceur au palais, et son apport énergétique. Pour l’une ou l’autre de ces particularités, vraisemblablement les deux, l’Homme a cherché à isoler ladite molécule, à l’extraire de sa plante, et a réussi, paraît-il, du côté de la Chine et de l’Inde, en travaillant sur la canne à sucre.
En Europe, c’est très longtemps resté une denrée luxueuse importée du bout du monde. L’historien James Walvin raconte comment on s’étonna de découvrir des dents impeccables chez les romains de Pompéi, et que celles nos rois et de nos reines d’antan étaient pleines de caries.
« On s’étonna de découvrir des dents impeccables chez les romains de Pompéi »
Puis, le commerce triangulaire aidant, la production a augmenté, le prix baissé, la consommation augmenté. En 1811, en bisbille avec les Anglais, Napoléon lance un plan sucrier en France, s’appuyant sur la découverte du sucre de betterave par l’Allemand Marggarf cinquante ans plus tôt.
On estime qu’à cette époque, la consommation de sucre des Occidentaux s’élevait à 10 kg par an. Depuis, cela n’a fait qu’augmenter pour atteindre 40 kg par an en France.
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Historique de la consommation de sucre par personne et par an (données Royaume-Uni puis Etats-Unis) - Source : Guillaume Sarre

Où est Charlie ?

Si vous n’avez pas l’impression de manger 100 grammes de sucre par jour par personne, soit environ 25 cuillères à café, c’est normal : il est bien caché. Le sucre pur à la maison représente moins de 20 % de la consommation. Le reste se cache dans votre confiture (environ 60 % de sucre), votre chocolat (idem), votre crème de marrons (idem)... Mention spéciale pour votre chocolat en poudre qui peut contenir jusqu’à 70 % de sucre. Gâteaux & sodas apportent largement leur pierre à l’édifice, ainsi que, plus original, des produits d’épicerie salée comme ce pain de mie et les plats préparés (en plus faible proportion, mais comme on en mange plus…).
De façon générale, le sucre coûtant (au stade industriel) environ 50 centimes le kilo, c’est un des ingrédients les moins chers, quelle que soit la recette. Considérant en plus qu’il est généralement apprécié des consommateurs, pas étonnant de le voir s’inviter (voire prendre toute la place) dans autant de recettes.
« Le sucre coûtant 50 centimes le kg, pas étonnant de le voir s’inviter dans autant de recettes »
Remarque : pour identifier la teneur en sucre d’un produit, vous pouvez soit regarder la liste des ingrédients (la position du sucre dans la liste vous indiquera si sa part est importante ou non), mais aussi regarder la table nutritionnelle. Celle-ci vous indique la part de glucides pour 100 grammes de produit, et, en dessous, la part de sucre pour 100 grammes. Dans certains cas, il est même précisé la part de sucre ajouté pour 100 grammes.

Sucre & Environnement

La culture de la canne à sucre (60-70 % de la production mondiale, plutôt dans l’hémisphère sud) et de la betterave sucrière (plutôt en France et en Russie) et leur transformation ont de nombreux impacts sur l’environnement (pdf anglais), de façon générale assez bien documentés.
Par exemple, la canne à sucre fait partie des cultures les plus gourmandes en eau (pdf anglais). Les techniques d’irrigation les plus économes en eau sont coûteuses et ne sont donc pas souvent mises en place. Quant à la betterave, c’est une de celles qui utilisent le plus d’herbicides (pdf anglais). On peut aussi citer le formidable rétropédalage français concernant l’interdiction des néonicotinoïdes (un type de pesticide réputé pour ses dommages collatéraux sur les abeilles).
Au Brésil, on observe aussi (à regret) la pratique régulière du brûlis prérécolte : les champs de canne à sucre sont brûlés, ce qui permet de se débarrasser des feuilles et de concentrer le sucre dans la tige. Cette technique dégage une grande quantité de CO2, mais également du monoxyde de carbone et de l’ozone, et dégrade la biodiversité des sols.
Illustration
Brûlis d'un champ de canne à sucre avant récolte au Brésil. Source : Xoox.
Si l’on prend un peu de recul, il semble que ces deux filières sont caractéristiques de l’agriculture en monoculture & intensive, c’est-à-dire de la recherche de rendements élevés. Et pour cause ! Le sucre est un produit particulièrement standard (dans le mauvais sens du terme) : qui se soucie vraiment de sa marque de sucre (comme dit plus haut, c’est une molécule) ? À défaut de pouvoir travailler sur la valorisation de son produit par sa qualité, l’agriculteur travaille sa quantité et, donc, son rendement.

Un sucre qui peine à payer ses producteurs

Comme souvent avec les filières agricoles internationales, on trouve en début de chaîne des travailleurs qui peinent à vivre de leur travail.
Une étude de 2020 du cabinet Profundo sur la filière du sucre de canne montre par exemple comment les salaires minimums en place dans les différents pays producteurs proposés aux employés des plantations, ne permettent pas de vivre décemment.
En France également, la culture de la betterave n’est pas franchement une poule aux oeufs d’or. C'est grâce aux subventions de la Politique Agricole Commune que beaucoup (40%) de producteurs ne terminent pas l'année en négatif, et malgré celles-là, la moitié d'entre eux touchent ont un revenu inférieur au SMIC.

Le sucre et notre santé

Si la consommation de sucre sous la forme de sucre ajouté (c’est-à-dire ajouté à la recette, dans une usine ou dans votre cuisine) peut combler une partie des besoins énergétiques du corps, cet avantage est à relativiser, compte tenu de ses impacts néfastes sur la santé.
“L’Anses souligne que les sucres, plus particulièrement sous forme liquide (sodas, nectars, jus de fruits à base de concentrés, jus de fruits frais, smoothies, etc.) contribuent à la prise de poids.
Le travail de l’Agence montre que la consommation de sucres au-delà de certaines quantités présente des risques pour la santé par des effets directs sur la prise de poids, l’augmentation de la triglycéridémie (taux de lipides dans le sang) et de l’uricémie (taux d’urée dans le sang), ainsi que par des effets indirects sur le diabète de type 2 et certains cancers, maladies qui constituent actuellement des enjeux de santé publique majeurs.
L'excès de sucre peut entraîner surpoids, obésité et maladies qui y sont associées, comme le diabète de type 2, des maladies cardiovasculaires et certains cancers. Concernant les risques sur la santé bucco-dentaire, l’Agence rappelle que la relation entre la consommation de sucres et la carie dentaire est aujourd’hui démontrée.”
Pour illustrer la notion d’”enjeux de santé publique majeur”, quelques chiffres :
Tout cela amène l’OMS à recommander dans l’idéal de se restreindre à 25 grammes de sucre ajouté par jour, soit quatre fois moins que la consommation moyenne actuelle.
« L’OMS recommande dans l’idéal de se restreindre à 25 grammes de sucre ajouté par jour, soit quatre fois moins que la consommation moyenne actuelle. »

Au final

Vous l’avez peut-être compris, le sucre n’est pas notre tasse de thé, à LundiCarotte. Exclusivement issu d’une agriculture intensive qui ne ménage pas l’environnement, d’une filière standardisée qui rémunère mal ses travailleurs et, surtout, mauvais pour la santé … le bilan est plutôt négatif. Sa douceur en bouche se teinte d’une franche amertume.
Dans ce contexte, on ne peut que vous conseiller d’élaborer une stratégie ! Quelle quantité de sucre ? Quels types ? Dans quelles recettes, dans quels genres de produits ? À quels moments de la journée ?
À la rédac’, on vise plutôt pas beaucoup de sucre, essentiellement le sucre naturellement présent dans les fruits ou le miel, et peu de produits industriels en contenant (un petit péché mignon pour le chocolat noir tout de même), et une fois de temps en temps un gateau fait maison pour la convivialité (et alors élaboré avec du sucre bio et commerce équitable qui coûte, certes, un peu plus cher, mais une fois de temps en temps, cela rentre dans le budget).

Les Astuces Carottes pour se sucrer le bec

  • Diminuer sa consommation de sucre pour viser les 25 grammes par jour (6 cuillères à café) de l’OMS;
  • Faire comme Rola un défi un mois sans sucre pour reprendre en main sa consommation;
  • Cultiver son plaisir de manger des fruits et des aliments peu transformés ;
  • Privilégier les sucres biologiques et/ou labellisés commerce équitable pour limiter les impacts environnementaux et sociaux.
Pour aller plus loin, Garance vous a préparé un comparatif des différents types de sucres et d’ersatz de sucre. Si vous en connaissez d’autres que ceux que l’on ne mentionne pas, n’hésitez pas à nous en parler ! Et maintenant, après un article aussi sucré, brossage de dents pour tout le monde.
Garance Régimbeau et Théodore Fechner
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