Cette semaine, LundiCarotte met le nez dans le potager, avec les fruits et légumes de saison.

Y'a plus d'saisons !

Le 7 mai 2018
Cette semaine, LundiCarotte met le nez dans le potager, avec les fruits et légumes de saison.
Vignette de l'article Y'a plus d'saisons !
Dans la langue courante, le mot légume désigne les plantes potagères comestibles que l’on mange en plat principal, alors que les fruits font plutôt office de dessert. Selon certaines définitions, cependant, n'importe quelle partie d'une plante potagère comestible est un légume. Le fruit, lui, c'est la partie de la plante qui contient la ou les graines. D’une certaine manière, le fruit est donc un type de légume.
La saisonnalité d'un légume, c'est la période de l'année où il y a suffisamment de chaleur et de soleil pour qu'il pousse, et ce, sans utiliser de serres chauffées. Ainsi, l'aubergine pousse naturellement en France de mai à octobre, alors que l'on trouve des carottes toute l'année - celles-ci se conservant très bien sous terre. C’est quand même royal, les carottes.
Pour protéger certains légumes du froid et de la météo, on les fait pousser sous serre. Contrairement à une idée répandue, ce n’est pas l’effet de serre qui fait monter la température, mais le fait d’emprisonner la chaleur provenant du sol.
Si l’on veut faire pousser ces mêmes légumes en hiver, en revanche, il est nécessaire d'augmenter artificiellement la température interne des serres. Elles sont souvent chauffées à l'énergie fossile (gaz, fioul…), ce qui rend le processus beaucoup plus polluant que pour les fruits de saison. Par exemple, une tomate provenant d’une serre chauffée nécessiterait dix fois plus d’énergie (PDF) qu’une tomate de plein champ et émettrait en moyenne dix fois plus de gaz à effet de serre.
En pratique, le critère de saisonnalité n'est pas le seul qui s'offre à nous lorsque nous remplissons le caddie : il faut parfois choisir entre un fruit de plein champ qui vient d'ailleurs et un fruit local qui a probablement poussé sous serre. Dans ce cas, lequel participe le moins au changement climatique ? Selon l'Ademe (l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie), cultiver une salade sous serre en Allemagne l'hiver émet deux fois plus de CO2 que faire pousser cette salade en Espagne, en plein air, puis de l'importer en Allemagne.
« Une tomate provenant d’une serre chauffée nécessiterait dix fois plus d’énergie qu’une tomate de plein champ »
L'écart peut même être bien plus important : il faudrait 750 kg équivalent pétrole par tonne de concombres sous serre, tandis qu'un camion consomme 20 g équivalent pétrole par tonne par kilomètre. Faire pousser un concombre sous serre demanderait donc autant d'énergie que de déplacer ce même concombre sur 37 500 km en camion, soit lui faire faire un tour du monde ? Rappelons en passant que le camion fait partie des moyens de transport de marchandises les plus polluants.
Ceci était le CalculCarotte de la semaine !
L'écart n'est peut-être pas toujours aussi extrême, mais il semblerait qu’un légume local hors saison participe bien plus au changement climatique qu’un légume de saison qui vient de loin. Cependant, il n’y a pas que le CO2 qui compte. Pour illustrer ce propos, penchons-nous sur le légume (ou le fruit) le plus consommé par les Français : la tomate.

Mini-dossier sur la tomate

La tomate est originaire des Andes, en Amérique du Sud, et pousse généralement sous serre dans les climats plus tempérés. En France, près d'un tiers des tomates sont produites en Bretagne. La plupart poussent dans des serres de haute technologie : la température, l’humidité, l’aération, le taux de CO2 ?… sont contrôlés et régulés électroniquement. Les plantes poussent hors-sol, c’est-à-dire que les racines ne sont pas dans la terre, mais dans des bacs surélevés contenant des substrats stériles, par exemple de la fibre de coco du Sri Lanka. Les nutriments nécessaires à la plante sont mélangés avec de l’eau et lui sont apportés au compte-gouttes (ce type de culture, appelé hydroponie, est interdit en agriculture biologique).
Pour polliniser les fleurs et assurer la présence de fruits, les exploitants achètent des petites boîtes pleines de bourdons qu’ils posent dans la serre. Le tissu de ces dernières est en effet conçu pour empêcher les insectes d’y entrer. La pousse hors-sol, elle, réduit le risque de maladies se développant dans la terre.
Selon Laurent Bergé, président de l’Association d’organisations de producteurs de tomates et concombres, ces technologies auraient permis, depuis 1985, de diminuer de moitié l’utilisation d’eau par kilo produit et de 90 % l’utilisation de pesticides et d’engrais.
Quand il fait froid, la serre est chauffée, mais ceci n'empêche pas la production de décroître. D’octobre à mai, nous importons donc la majorité de notre consommation, principalement du Maroc (56 % de l’importation française) et d’Espagne (24 %). Pas de scandales agricoles à signaler au Maroc. Les plantations (vidéo) sont souvent moins technologiques que par chez nous, mais il y a beaucoup de similitudes.
En revanche, en Espagne, c’est une autre histoire. La grande majorité (ENG) des tomates espagnoles pousse en Almería. Surnommée “la mer de plastique”, la région apparaît comme une tache blanche visible de loin sur les images satellites de la terre, car on voit l’étendue des serres agricoles. Comme l’explique l’équipe de youtubeurs Le Tatou, les serres d’Almería sont un enjeu social et environnemental.
Premièrement, il y a la question des ouvriers : la moitié serait des immigrés sans papiers. Ceux-ci sont sous-payés, vivent dans des bidonvilles et manipulent des pesticides dangereux pour la santé, sans protections appropriées. Deuxièmement, les serres sont faites de bâches de plastique renouvelées régulièrement. Une partie du vieux plastique se retrouve dans la nature, polluant les environs et l’Océan tout proche. Apparemment, chaque tomate venant de la mer de plastique a généré son propre poids en déchet. De plus, la région est aride et les tomates et autres légumes ont besoin d’eau. Résultat : les puits qui pompent l'eau des nappes phréatiques descendent à 1 500 mètres de profondeur contre 30 mètres initialement. Il y a aussi les pesticides : 7 % des tomates venues d’Almería contiennent plus de résidus de pesticides que la limite autorisée.
Bref ! La tomate d’Espagne est un exemple de ce que l’on peut éviter en consommant plus de saison.

Mangez de saison, c’est tout bénef

Hormis un coût écologique moindre, les fruits et légumes de saison ont aussi l’avantage d'être moins coûteux pour le porte-monnaie. Effectivement, à coût de production égal, ils ne paient ni transport ni taxes d'importation. Autre avantage : en général, ils ont plus de goût. Les fruits et légumes sont cueillis à maturité, contrairement à leurs cousins hors saison. Eux terminent leur croissance loin des rayons du soleil, dans un camion ou dans les cales d'un cargo. De plus, les frigos éventuellement utilisés pour conserver les produits lors du transport détruisent les molécules qui donnent le goût.

Comment consommer de saison

Reste que consommer de saison, ce n'est pas toujours simple. Déjà, comment savoir quels fruits et légumes sont de saison ? On peut consulter un calendrier sur Internet, en imprimer un pour le coller sur son frigo ou encore télécharger l’application Etiquettable pour avoir ces infos cruciales sous la main face au rayon frais.
Vous remarquerez peut-être des écarts entre les différents calendriers, par exemple des variations dans la saisonnalité des produits indiqués. Ceci est dû au fait que les conditions climatiques peuvent varier d'une année à l'autre, ce qui influence la récolte, comme pour le muguet. Selon Shafik Asal, cofondateur d’Etiquettable, il peut y avoir un à deux mois d’écart entre la maturation des plantes et la saison officielle. Malheureusement, il n’y a donc pas toujours moyen de savoir à 100 % si un aliment est de saison. En revanche, si l’écart est supérieur à deux mois, on est fixé. Une fraise cueillie en France en novembre, par exemple, proviendra toujours d’une serre chauffée.
Une solution envisageable pour faire entrer des fruits et légumes de saison chez soi est de les commander via le site La ruche qui dit oui ou de s’inscrire aux paniers hebdomadaires de fruits et légumes paysans d’une AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne). Quant à éviter de consommer des fruits et légumes produits dans des serres chauffées, on pourrait être tenté de se tourner vers le label Agriculture Biologique, mais attention il ne comporte pas de critère l'interdisant (malgré une courte tentative).
Maintenant qu’on a des produits saisonniers, qu’est-ce qu’on en fait ? On s’éclate avec toutes les recettes de saison ! En saison froide, transformer un chou frisé en mets appétissant peut demander un peu plus de motivation, mais il y a quand même des raisons de se réjouir : les courges rôties au four en automne, par exemple, ou cette recette de chili au chou-rave et topinambour en hiver.
Une autre manière de passer l’hiver est de penser aux conserves, par exemple en achetant des tomates en boîte ou en confectionnant ses propres conserves d’abricots.
Selon vous, se passer de tomates en hiver est-il facile ou bien est-ce la fin des haricots ? On espère que vous vous êtes régalés, en tout cas, et à la semaine prochaine ! On vous laisse avec les fruits et légumes d'octobre, selon le calendrier de Greenpeace (qui ne mentionne pas les produits exotiques) :
Légumes : Ail - Aubergine - Betterave - Blette - Brocoli - Carotte - Céleri-branche - Céleri-rave - Chou - Chou blanc - Chou de Bruxelles - Chou-fleur - Chou frisé - Chou rouge - Concombre - Courge - Courgette - Echalote - Endive - Épinard - Fenouil - Frisée - Haricot vert - Laitue - Navet - Oignon - Panais - Patate douce - Poireau - Pomme de terre de conservation - Potiron - Radis - Rutabaga - Salsifi - Topinambour
Fruits : Amande sèche - Baie de goji - Châtaigne - Citron - Coing - Figue - Framboise - Kaki - Myrtille - Noisette - Noix - Physalis - Poire - Pomme - Raisin - Tomate
Bon appétit !
Alix Dodu et Paul Louyot
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