Nombreux sont les lecteurs qui ont un souvenir chaleureux de Paul, membre émérite de la rédaction. Ce que peu d’entre eux savent de lui, c’est que, pendant toute une partie de son service civique, il a troqué ses gamelles préparées maison pour de la smart food (nourriture intelligente). Aujourd’hui, LundiCarotte lui rend hommage en s’intéressant à cette nouvelle mode alimentaire.

La poudre de perlimpinpin

Le 3 juin 2019
Nombreux sont les lecteurs qui ont un souvenir chaleureux de Paul, membre émérite de la rédaction. Ce que peu d’entre eux savent de lui, c’est que, pendant toute une partie de son service civique, il a troqué ses gamelles préparées maison pour de la smart food (nourriture intelligente).
Aujourd’hui, LundiCarotte lui rend hommage en s’intéressant à cette nouvelle mode alimentaire.
Vignette de l'article La poudre de perlimpinpin

En plein boum

Tout commence aux États-Unis, en 2013. Fatigué de cuisiner, un jeune informaticien souhaite un repas rapide, facile et pratique qui ne lui fasse pas perdre de poids. Après de multiples essais dans son garage, il crée Soylent, référence provocatrice assumée au film Soleil Vert, mais on ne va pas vous divulgâcher la fin de l’histoire.
Quel est le concept ? Se présentant généralement sous forme de poudres à réhydrater, ces produits sont censés remplacer un repas complet, rien que ça. Plus de temps passé à cuisiner ou à faire la queue au self, on passe la bouteille au robinet, on agite et c’est prêt. Rapide, efficace, c’est pour ça qu’on la surnomme nourriture smart.
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Scène du film Soleil Vert, 1973
Au cours des cinq dernières années, la poudre n’a pas chômé ! Feed, Mana, Smeal, Huel, Bertrand, Queal, Jimmy Joy, Vitaline, Satislent, Ambronite, Saturo, autant de marques (anglais) qui percent peu à peu, portant des messages variés. Qu’elles jouent sur le credo de l’écologie, de la nutrition parfaite ou des gains de productivité, elles trouvent leur marché. Y compris en France, où Feed. réalise par exemple des dizaines de millions d’euros de chiffre d’affaires.

Lisons les étiquettes

Sur le papier, la promesse tient en quelques mots : garantir tous les apports nutritionnels conseillés (ANC) par repas en un seul produit.
Pour arriver à résoudre cette équation, il faut d’une part une base qui assure l’apport énergétique (les calories), puis les justes doses de vitamines et minéraux. Le blog RepasEnPoudre.com les classe en trois catégories, selon leur composition et le niveau de transformation des aliments :
  • Les poudres contenant un mélange fait de 20 % d'avoine, 20 %de maltodextrine ou d'isomaltulose, et 20 % de soja, substances les moins coûteuses et les plus faciles à industrialiser. La maltodextrine est un mélange de glucoses issus de la transformation d’amidon de maïs et de fécule de pomme de terre. Les 40 % restants sont un mélange de vitamines et de minéraux ainsi que d’arômes. Dans cette catégorie, Jimmy Joy et Feed. par exemple.
  • Les poudres très peu transformées dont les calories et les vitamines proviennent de fruits, de céréales ou de légumes séchés, puis moulus, souvent bios, qui ressemblent à un muesli broyé. Elles sont plus chères, du fait des ingrédients plus coûteux. 100 % des ingrédients sont donc “naturels”. On retrouve dans cette branche les marques Ambronite ou Trinkkost.
  • Parmi ces dernières, les ingrédients de certaines sont remplacés par un mix vitaminique, de façon à mieux atteindre les ANC. On évite ainsi de ne prendre comme mesure que la quantité moyenne de vitamines d’une noix ou d’un raisin sec, par exemple. C’est le choix de Huel ou de Vitaline.
Rappelons qu’en France, les fabricants ne sont pas légalement obligés de justifier les pourcentages ou grammages de chaque ingrédient.
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Composition d’un repas Feed. aux légumes. On y voit les ingrédients principaux : farine d’avoine sans gluten, isomaltulose, protéine de pois. Photo prise dans le Franprix du coin.

Au quotidien, qu’est-ce que cela change ?

À l’instar des produits équivalents d’autres pays, la marque leader en France cible “ceux qui n’ont pas le temps, la possibilité ou l’envie de consommer un repas classique”. Il est vrai que, ce n’est pas la Rédaction qui vous dira le contraire, troquer confection maison contre repas en poudre représente un gain de temps extraordinaire.
Un gain de temps qui se prolonge au moment de passer à table. Là où les Français passent en moyenne 2h13 à table par jour, les petites bouteilles de prêt-à-boire peuvent être ingurgitées dans les transports, au bureau, à la salle de sport … Tout cela semble favoriser l’individualisation du repas.
Côté porte-monnaie, on se sent aussi plus léger. Souvent à moins de 2,50€ par repas quand on l’achète en vrac, le calcul par rapport à un sandwich triangle est vite fait. Si on le compare à un menu végétalien, bio et complet, préparé maison, on pourrait imaginer un tarif équivalent, sinon plus élevé.
« Côté porte-monnaie, les repas en poudre peuvent être meilleur marché que les repas classiques. »
Côté saveur, c’est comme tout : chacun ses goûts. Si Servane a pu apprécier des repas saveur “cèpes” ou “légumes du jardin” qui ressemblaient à des soupes extrêmement épaisses, elle a par contre été prise de nausée en tentant un déjeuner “banane-vanille”. Paul, lui, semblait globalement heureux de toutes ses trouvailles.

Poudre aux yeux ou vraie avancée environnementale ?

Nous n’avons pas été en mesure de dénicher d’étude scientifique indépendante sur l’impact environnemental de tels repas. Nous nous bornerons donc à lister les différents aspects, positifs ou négatifs, des repas en poudre vis-à-vis de la santé de notre planète :
  • Le gaspillage alimentaire : on estime le gaspillage des denrées alimentaires mondiales à près d’un tiers, du champ à l’assiette. En plus du gâchis de nourriture, il faut tenir compte du gaspillage d’énergie et de la pollution qui en résulte. Les repas en poudre, qui fournissent “juste ce qu’il faut” semblent être une bonne alternative. De plus, ces denrées sèches peuvent être stockées sans inconvénient plusieurs mois.
  • L’alimentation végétalienne : nous l’expliquions dans notre article sur la viande, les produits carnés ont un impact énorme sur notre empreinte carbone. Le régime végétalien est reconnu comme le moins polluant en termes d’émission de carbone, d’utilisation d’eau et d’occupation de terres par rapport au régime omnivore classique. En s’alignant sur ce modèle, les marques de repas prêts-à-boire marquent des points.
  • Les emballages : à condition d'utiliser un shaker (gourde en plastique) et d'acheter sa poudre en gros, la quantité d’emballage pour un repas est très faible. Quand on sait que les emballages représentent environ 188,7 kg de déchets par an et par Européen, il y a de quoi s’interroger.
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Un an de repas en poudre de la marque Huel équivaut à 53 sachets en plastique, contre 74kg de déchets d’emballages par an en moyenne en France.
  • L’industrialisation : dans la plupart des cas, les aliments que l’on retrouve dans ces préparations à boire sont ultra-transformés. Il n’y a plus de texture ni d'apparence, mais seulement une poudre. On peut alors s'interroger sur l'énergie nécessaire à toutes ces transformations : en particulier, la lyophilisation (congélation suivie de déshydratation) est un processus très coûteux. Cependant, il faut aussi rappeler que des économies d’échelle de la production industrielle réduisent parfois notoirement leur empreinte carbone. Rappelons le cas de la tasse de thé dont la majeure partie de l’énergie consommée résulte de la manière dont l'on fait bouillir son eau chez soi.
  • Les transports et matières premières : d’où viennent les aliments qui composent les repas en poudre ? Dans quelles conditions sont-ils cultivés ? Vaste question dont les réponses sont quasi impossibles à trouver, à moins d'y trouver le label BIO. Si les marques françaises affichent fièrement la mention “fabriqué en France” sur leurs sites respectifs, cette appellation ne concerne que le mélange final.

Bien manger, c’est important, mais pas trop

La somme des parties vaut-elle autant que le tout ? C’est ce qu’affirment les marques, en considérant la nutrition comme une science exacte, en se fiant aux ANC, qui tiennent compte des vitamines et minéraux ainsi d’une estimation de l’énergie (en calories nécessaires).
Pourtant, rien n’est moins sûr. Ainsi, certains nutritionnistes alertent sur une perte des repères physiologiques liés à la prise de repas. La mastication, par exemple, semble être un élément nécessaire à l’impression de satiété. Le fait de pouvoir apprécier le goût, l’aspect et la texture de chacun des aliments est aussi important. Paul avoue lui-même que la sensation de satiété était plus difficile à atteindre en se nourrissant de repas liquides.
« La sollicitation des cinq sens lors du repas joue un rôle important dans la sensation de satiété. »
Le principe même des ANC est souvent remis en cause et on observe des phénomènes de compensation et de régulation dans le corps. L’assimilation de certaines vitamines est également dépendante de la fréquence d’ingurgitation, comme la vitamine B12, indispensable aux végétaliens. Nous vous parlions aussi des effets inhibiteurs de certaines molécules comme les phénols du thé sur le fer non héminique.
Enfin, Anne, notre nutritionniste, tire la sonnette d’alarme quant à la désacralisation du repas. Manger, c’est plus que se nourrir, c’est profiter de ses cinq sens, apprécier l’aspect des aliments et leur texture en bouche. Ce sont toutes ces sensations qui mènent à une impression de satiété, de bien-manger et de bien-être. N’oublions pas que notre gastronomie nationale fait partie du patrimoine de l’UNESCO.

Fin de l’enquête

Finalement, il nous semble que ces repas du futur sont une bonne solution pour les invididus réellement pressés et qu'ils sont sans doute plus diététiques qu’un kebab (entre 1000 et 1300 kcal).
Une solution d’appoint qui pour autant ne saurait supplanter tous nos repas. Feed. est d’ailleurs clair sur le sujet sur son site, son objectif “n’est pas de se substituer intégralement à la nourriture traditionnelle, mais plutôt d’apporter une alternative idéale, de manière ponctuelle”.
Qu'on les aime ou pas, les repas en poudre ont cela de bon qu’ils pointent du doigt de nombreux enjeux environnementaux liés à notre alimentation : gaspillage, modèle agricole, emballages, équilibre nutritionnel. De bonnes idées qui sont rendues opaques par des procédés de transformation industrielle dont l’opinion publique se méfie, tant ils sont associés à nombre de nos problèmes sanitaires.
« Les repas en poudre ont le mérite de pointer du doigt les problèmes environnementaux de notre modèle alimentaire actuel. »
Quant aux enjeux environnementaux, si l’on est déjà végétarien, que l’on ne gaspille pas ce que l’on achète, que l’on tente au maximum de réduire ses emballages, pas besoin de mettre le feu aux poudres alimentaires. On peut se féliciter d’avoir déjà fait un bel effort par rapport à la moyenne de ses concitoyens.

Les AstucesCarotte pour manger vite et bien

  • Préparer beaucoup de repas en avance le week-end pour le reste de la semaine (pratique que l’on appelle le meal prep ou batch cooking)
  • Si on choisit d’essayer les repas en poudre, s’orienter plutôt vers ceux qui contiennent le moins d’aliments transformés.
  • Ne pas tourner l'intérêt pour la nutrition en obsession, halte à l’orthorexie.
On espère qu’avant d’avoir lu cet article quelque peu déroutant, vous avez eu le temps de vous préparer un bon petit-déjeuner !
N’hésitez pas à nous envoyer vos témoignages de repas en poudre par mail à hello@lundicarotte.fr !
Servane Courtaux et Anne Moreau
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