Avis à nos lecteurs : cette semaine, LundiCarotte fait un gros détour en dehors de son champ habituel d’information sur la consommation. Nous rentrons de plain-pied dans une discussion citoyenne bouillonnante : celle sur l’électricité nucléaire. Intrigués par cet enjeu majeur du développement durable et par la polémique explosive qui l’entoure, nous avons voulu creuser en profondeur ce vaste sujet. Nous nous permettrons donc de produire non pas un, mais trois articles “hors-série” sur le phénomène. Loin d’être parfait, le nucléaire nous a cependant mis quelques étoiles dans les yeux. Nous avons essayé d’apporter notre pierre à une discussion complexe, même si cela demande une forte dose d’énergie et qu’il nous manque de l’expertise ! Nous sommes curieux de savoir ce que vous en pensez.

Un sujet explosif

Le 15 juin 2020
Avis à nos lecteurs : cette semaine, LundiCarotte fait un gros détour en dehors de son champ habituel d’information sur la consommation. Nous rentrons de plain-pied dans une discussion citoyenne bouillonnante : celle sur l’électricité nucléaire. Intrigués par cet enjeu majeur du développement durable et par la polémique explosive qui l’entoure, nous avons voulu creuser en profondeur ce vaste sujet. Nous nous permettrons donc de produire non pas un, mais trois articles “hors-série” sur le phénomène.
Loin d’être parfait, le nucléaire nous a cependant mis quelques étoiles dans les yeux. Nous avons essayé d’apporter notre pierre à une discussion complexe, même si cela demande une forte dose d’énergie et qu’il nous manque de l’expertise ! Nous sommes curieux de savoir ce que vous en pensez.
Vignette de l'article Un sujet explosif
Radioactivité, danger d’explosion, déchets dangereux… le nucléaire a une réputation douteuse. Cette énergie a d’abord été utilisée pour fabriquer des bombes avant d’être une source d’électricité et cette association avec la guerre perdure.
Les œuvres culturelles et artistiques du Japon, par exemple, se sont imprégnées de la peur de la destruction après les bombardements nucléaires de la Seconde Guerre mondiale. Pour désigner l’énergie nucléaire, sa pop culture utilise même massivement l’allégorie du monstre, avec les kaijus, des bêtes dévastatrices tueuses d’hommes. Godzilla en est un exemple.
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Le kaiju Godzilla, monstre dévastateur, est une métaphore pour les armes nucléaires.
Aujourd’hui cependant, la peur des armes nucléaires semble s’être estompée. Les kaijus ont perdu leur sens symbolique. Peut-on y voir un signe de résilience ?

Personne n’aime les bombes… Quid de la réputation de l’électricité nucléaire ?

Sur un plan plus engagé politiquement, dans les années 1970, des militants américains pacifistes et écologistes protestent contre les essais nucléaires des États-Unis sur une île au large de l’Alaska. Cet acte de militantisme marque la naissance de l'association Greenpeace. Déployée aujourd’hui à travers le monde, elle a élargi son champ d’action à la protection de l’environnement, mais a gardé une dent (de lapin ?) contre le nucléaire.
Selon Greenpeace, “cette énergie est dangereuse, inutile et coûteuse.” D’autres voix importantes s’élèvent aussi contre le nucléaire, comme ces neuf Prix Nobel de la paix après l’accident d’un réacteur nucléaire à Fukushima en 2011.
Cependant, on entend aussi des voix en faveur du nucléaire, tel Nicolas Mazzucchi, chargé de recherches à la Fondation pour la recherche stratégique, qui met le nucléaire en avant comme énergie bas carbone et disponible. Le débat reprend de plus belle avec les derniers rapports du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), selon lequel le nucléaire est probablement nécessaire si on veut limiter les dégâts du changement climatique.

Et moi, je suis concerné par ces histoires ?

Mondialement, la part du nucléaire dans le mix électrique est d’environ 10 %, mais chez nous, le nucléaire pèse pour 70 %. La France est le pays le plus nucléarisé au monde ! Le “mix électrique”, c’est la proportion des différentes sources d’électricité qui alimentent le réseau d’un pays.
Si vous avez eu le bon goût de choisir un fournisseur “vert” suite à notre article sur le sujet, vous soutenez une centrale d’énergie renouvelable financièrement, mais il y a de bonne chance qu’une partie des électrons qui rechargent votre épluche-carotte automatique doive son existence à un bout d’uranium.
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Connaissanecedesenergies.org- La composition de la production d’électricité en France, pays le plus nucléarisé du monde !

Donc mon épluche-carotte contient des électrons d’uranium ?

Pas tout à fait. Comme nous l’explique Jamy, l’uranium n’est que le combustible qui alimente la machine. Les particules qui créent un atome d’uranium sont maintenues ensemble par une grande force d’attraction. Casser ces noyaux en noyaux plus petits libère de l’énergie, énergie qui est ensuite utilisée pour faire tourner des turbines à vapeur. Plus de détails dans notre deuxième volet sur le nucléaire !
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Futura-sciences.com - C’est la division d’atomes d’uranium par collision avec un neutron qui procure l’énergie dans les centrales nucléaires.
L'un des gros atouts de l’électricité nucléaire est la grande quantité d’énergie contenue dans les atomes. Cependant, il y a un bémol : la fission nucléaire crée des atomes qui ne sont pas stables et qui se décomposent en d'autres atomes de manière radioactive. Ce processus émet des radiations qui peuvent altérer la matière sur leur passage, causant par exemple des mutations génétiques dues à une altération de l’ADN.
Alors, certes, le monde ne va pas se transformer en Walking Dead géant. Par contre, ces radiations nocives pour notre corps peuvent entraîner des cancers. Thyroïde, moelle osseuse pour certains des plus fréquents. Pas très joyeux comme constat, n’est-ce pas ?

Est-ce grave, Docteur ?

Rassurons-nous, les effets négatifs de la radioactivité sont graduels : ils dépendent de la durée et du degré d’exposition aux particules radioactives. Paradoxalement, comme ce sont les rayons les plus cancérigènes qui interagissent le plus avec la matière, ils peuvent être arrêtés par une simple feuille de papier. Ceux qui sont moins cancérigènes se propagent plus loin et peuvent parfois toucher les populations.
En temps normal, les radiations nucléaires présentes en infime quantité dans l’air n’ont qu’un très faible impact sur notre santé. Il faut savoir que nous sommes constamment entourés par des sources de radioactivité naturelles, comme le soleil, le gaz de radon ou certains matériaux de construction. Nous sommes nous-mêmes un peu radioactifs !
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Cancer-environnement.fr - Nous sommes constamment entourés par des sources de radioactivité naturelles, comme le soleil ou certains matériaux de construction, et nous sommes nous-mêmes un peu radioactifs !
L’exposition d’un humain à la radioactivité est mesurée en millisieverts (mSv), une unité spécialement conçue pour évaluer l’impact radioactif d’un environnement sur l’homme. La dose moyenne d’exposition en France est d’environ 3,5 mSv par personne par an. Une radiographie procure une dose d’environ 0,2 mSv, un aller-retour Paris-New York environ 0,08 mSv, et cinq paquets de cigarettes environ 1 mSv - bien qu'une partie de la radiation des cigarettes ne soit pas absorbée.
Pour limiter les soucis de santé, des seuils maximums d’exposition non-naturelle ont été fixés. La limite pour les travailleurs du nucléaire est de 20 mSv par an. Tant que ce seuil de radioactivité n’est pas dépassé, nous ne risquons pas grand-chose. Aucune crainte, donc, tant qu’il n’y a pas d’accident majeur, d’autant plus que la radioactivité d’une centrale ne s'échappe pas de la cuve du réacteur.
De manière générale, le petit nucléaire produit tranquillement de l’énergie dans son coin sans embêter son monde. Cependant, quand il fait une grosse colère, on s’en souvient.

Concrètement, en France, comment ça se passe ? On préfère quand ça n’explose pas...

Heureusement, on surveille bien le garnement ! En cas d’accident, la France produit d'importants stocks de tablettes d’iode, qui protègent la thyroïde. Si vous faites partie des 200 000 Français habitant à moins de 20 kilomètres d’une centrale, nous vous conseillons de jeter un œil sur ces consignes.
Pour y voir plus clair sur les risques, nous avons interviewé Florence et Ronan, membres de LundiCarotte travaillant tous deux dans une centrale nucléaire. Ils ne sont pas inquiets. Florence nous explique que les protocoles de sûreté dans une centrale, “c’est un peu comme un oignon” : au centre se trouve le cœur du réacteur, où le degré d’attention et les règles sont au maximum, et autour de cela sont ajoutées des “couches” de sûreté de plus en plus larges. Bon, ça ne vaut pas une carotte, mais c’est rassurant.
« Les protocoles de sûreté dans une centrale, c’est un peu comme un oignon. Avec des couches. - Florence »
Ronan par exemple travaille sur l'un des nombreux mécanismes de pompes à eau et autre générateurs d’électricité dont le rôle est de prendre le relais en cas de panne des installations principales. Nous notons que les soucis de soudure à la centrale de Flamanville, soulevés par le mouvement Sortir du Nucléaire, concernent l'une de ces couches plus externes.
Florence nous explique que l’important est de rester alertes sur la durée, chose qui demande un effort et un investissement constant. Depuis le premier accident de centrale nucléaire, à Three Miles Island en 1979, les protocoles de sûreté ont été revus à travers le monde et sont continuellement améliorés.
Il est intéressant de noter que ces nouveaux protocoles n’étaient pas en œuvre à la centrale de Tchernobyl et que ceux qui étaient en place ont été enfreints, menant à l’explosion. À Fukushima aussi, des rapports de risque de tsunami auraient été ignorés par les autorités. Depuis, le Japon a instauré une autorité administrative indépendante pour remplacer l’agence de sûreté nucléaire qui était affiliée au ministère de l’Économie.
En France, c’est l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), indépendante du gouvernement depuis 2006, qui contrôle la gestion des centrales nucléaires, par exemple en effectuant des mises en situation des équipes d’EDF. Ainsi, l’ASN relève pour 2019 un « recul de la rigueur d’exploitation » des centrales nucléaires de l’entreprise, « malgré des résultats de sûreté globalement satisfaisants ».

Mais quand ça explose, tous aux abris ?

En cas d’accident ou autre urgence, le seuil d’exposition non-naturelle autorisé est de 100 mSv. Ce seuil élevé entraîne un grand risque de cancer s’il est maintenu ainsi plusieurs années. Depuis la naissance de la première centrale nucléaire en 1951, deux accidents l’ont dépassé localement : l’explosion tristement célèbre d’un réacteur à Tchernobyl (URSS, 1986) et, plus récemment, la fonte d’un réacteur suite au tremblement de terre à Fukushima (Japon, 2011). Lors de ce dernier, des émissions de 500 mSv ont été enregistrées ; rester dans les parages entraînait donc un risque très élevé pour la santé.
Pour garder la tête froide face à ce tempérament explosif, nous avons tenté de faire le bilan de ces accidents. Ceci nous a donné du fils à retordre. Non content de faire ses colères, le nucléaire fait son mystérieux. Comme on peut le voir dans le schéma ci-dessous, estimer le nombre de décès après un accident nucléaire est une entreprise complexe.
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Image traduite de l’original de l’UNSCEAR - Étudier les effets à long terme d’accidents nucléaires est extrêmement compliqué, en raison du grand nombre de facteurs connexes.
Après la fonte partielle du réacteur de Three Miles Island, les rapports et études officiels n’ont pas permis d’établir un lien direct entre l’événement et les potentiels décès qui lui seraient attribuables. Certaines contre-études indiquent une légère augmentation du nombre de cancers dans la région. L’accident a en tout cas été massivement médiatisé, avec une influence importante sur l’opinion publique et le futur du nucléaire aux États-Unis.
À Tchernobyl, par contre, 28 travailleurs d’urgence exposés à de fortes radiations sont décédés. Pour la population, l’exposition s’est faite principalement par le lait de vache.

Qu’est-ce que le lait vient faire là-dedans ?

Le lait joue un rôle important lors d’accidents nucléaires, car il ne faut que quelques jours entre l’ingestion d’herbe contaminée par une vache et l’apparition de la brique de lait dans les rayons. Les éléments radioactifs n’ont donc pas le temps de se décomposer. On estime qu’une part substantielle des 6 000 cancers de la thyroïde, développés par les personnes environnant Tchernobyl alors âgées de moins de 18 ans est due au lait contaminé.
Même s’il n’est pas une sinécure, ce cancer se traite souvent assez bien. En 2005, 15 de ces 6 000 cas avaient été fatals.
Outre les risques pour la thyroïde, un rapport de l’UNSCEAR (l’United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation, un comité scientifique de l’ONU) indique qu’aucun autre effet significatif à long terme sur la santé n’a été trouvé à ce jour.
« La majorité des décès lors d’accidents nucléaires surviennent suite aux tourments physiques, psychologiques et économiques causés par les évacuations après l’accident. »
À la surprise de la rédaction, la majorité des décès lors d’accidents nucléaires ne sont pas dus à des cancers. La plupart surviennent suite aux tourments physiques, psychologiques et économiques causés par les évacuations massives nécessaires après l’accident. Par exemple, alors qu’il n’y a eu aucun décès suite aux radiations de la centrale accidentée de Fukushima, le nombre de morts à déplorer dus à des conditions physiques difficiles et à des suicides a augmenté significativement lors de l’évacuation.

OK, les évacuations semblent dangereuses, donc exit le nucléaire ?

Malgré les apparences, et même en comptant ces décès, le nucléaire n'est pas si dangereux que ça quand on le compare à d'autres formes d'électricité.
Bien que ces accidents puissent être terribles, les effets de l'exploitation des énergies fossiles et de la pollution atmosphérique qu’elles engendrent sont en fait beaucoup plus prononcés. Une étude publiée dans la revue scientifique Environmental Science & Technology démontre qu’entre 1971 et 2009, l’exploitation électrique du nucléaire a causé la mort d'environ 4 900 personnes. Il s’agit ici de victimes directes, comme les mineurs d’uranium accidentés et les ouvriers et habitants exposés à aux radiations de Tchernobyl.
Selon cette même étude, l'exploitation nucléaire a permis pendant cette période d'éviter près de deux millions de morts liées aux conséquences des énergies fossiles, comme le gaz, le pétrole ou le charbon. Ils estiment qu’entre 2010 et 2050, 4,39 millions à 7,04 millions de décès pourraient être provoqués si tout le nucléaire était remplacé par de l'électricité au charbon.
« L'exploitation nucléaire aurait permis pendant d'éviter près de deux millions de morts liées aux conséquences des énergies fossiles, comme le gaz, le pétrole ou le charbon. »
Et on ne parle ici même pas des victimes du changement climatique, auquel le nucléaire ne contribue presque pas. (Plus de détails dans notre troisième volet sur le sujet, à paraître !)
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Le nucléaire fait, selon cette étude, 40 fois moins de morts que le gaz par unité d’électricité, 263 fois moins que le pétrole et 350 fois moins que le charbon !
Dans notre classe, il n’y a pas que le nucléaire et les énergies fossiles. Il y a aussi les chouchous de l’électricité durable : l’éolien, le solaire, la biomasse… Qu’en est-il de leur côté obscur ? À part pour les biomasses, nous n’avons pas trouvé d’études sérieuses qui fassent la comparaison.
Les quelques informations disponibles semblent pointer le fait qu’elles causent elles aussi plus de décès que le nucléaire. On peut citer par exemple les 26 000 noyés suite à la casse d’un barrage hydraulique en Chine.

Donc les énergies fossiles sont en fait le grand danger ?

Clairement, le plus sûr en ce qui concerne l’électricité est d’alléger la consommation. Mais s’il faut évaluer les dangers du nucléaire, il est intéressant de considérer notre peur de prendre l’avion : nous autres humains surévaluons le péril de par l'importance des catastrophes, mais le risque d’avoir un accident en voiture est environ quatre fois plus grand.
« Les chances d’avoir un accident en voiture sont environ quatre fois plus grandes qu’en avion. »
En revanche, un péril à ne pas sous-évaluer, ce sont les risques liés aux accidents de communication ou de pressage de bouton liés aux armements nucléaires. Pour ceux qui ont de l’argent à investir, on peut opter pour des investissements qui excluent les armements nucléaires, pour participer à diminuer ce risque.

Les AstucesCarotte pour participer à la discussion enflammée sur le nucléaire :

  • Garder la tête froide.
  • Échapper aux radiations de la centrale en n’entrant pas par effraction dans le réacteur.
  • Si on travaille dans une centrale nucléaire, continuer à dormir sur ses deux oreilles la nuit pour protéger le reste de la population de jour.
  • Désinvestir les armements nucléaires.
  • La meilleure électricité est celle que l’on ne consomme pas ! Mettre un pull, acheter moins d’objets, prendre des douches courtes et bichonner son frigo sont de bonnes pistes.
  • Sans diaboliser le nucléaire, il est toujours bon de passer à un fournisseur d’électricité durable.
  • Lire les prochains volets LundiCarotte sur le nucléaire.
Alors, qu’en pensez-vous ? Comme nous le rappellent Florence et Ronan, faire le choix du nucléaire est un débat de société. Pour alimenter la discussion, deux autres volets Carotte sur le sujet vous attendent ! Le prochain traitera de l’uranium, ce combustible qui fait tourner nos centrales. À la différence des fanes de carottes, ses déchets nucléaires ne sont pas recyclables... L’opus sera conclu par le rôle du nucléaire dans la discussion sur le changement climatique. Restez scotchés !
Anna van der Lee, Raphaëlle Lacroix, Laura Sereni et Alix Dodu
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