Aujourd’hui la Rédaction accueille une nouvelle plume en la personne de Florence qui a prêté main forte à Servane et Théodore pour un tout nouvel article sur les livres (et leurs scribes), après notre premier opus en 2018 qui comparait les livres et les liseuses.

C'est une bonne situation, ça scribe ?

Le 9 octobre 2023
Aujourd’hui la Rédaction accueille une nouvelle plume en la personne de Florence qui a prêté main forte à Servane et Théodore pour un tout nouvel article sur les livres (et leurs scribes), après notre premier opus en 2018 qui comparait les livres et les liseuses.

Une montagne de livres

Cocorico ! D’après une étude de l’application Babbel, spécialisée dans l’apprentissage des langues, la France est le pays européen où l’on lit le plus ! Une étude du centre national du livre de 2023 rapporte que 89% des Français ont lu au moins un livre sur la dernière année. Le type de livre le plus lu reste le roman. Les Français lisent en moyenne cinq heures par semaine, principalement en format papier. Toutefois, on note une progression significative des formats audio (un Français sur trois en a déjà écouté) et numérique (un Français sur quatre en a déjà lu).
Parmi tous ces livres lus, les livres neufs représentent un sacré marché : environ 364 millions de livres neufs vendus en 2022 (en France). Dans le peloton de tête des ventes, on retrouve la littérature traditionnelle, les bandes dessinées, puis les mangas.

Il en faut du monde pour faire un livre

Le marché du livre est le premier employeur du secteur culturel en France, avec 80 000 emplois.
On y retrouve différent métiers qui forment “la chaîne du livre” :
  • L’auteur / l’autrice  : c'est en quelque sorte la matière première du livre. On compte 55 000 auteurs de livres en France, mais seuls 2 500 en vivent vraiment. Les auteurs sont généralement rémunérés sous forme d’un cachet initial avant la publication puis de droits d’auteur si l’ouvrage rencontre du succès. Ils touchent entre entre 6 et 12% du prix, selon sa notoriété et le type de livre.
  • le libraire : il est responsable du point de vente de l’ouvrage. Son travail consiste à réceptionner les nouveaux livres, à agencer ses rayons, à conseiller le lecteur, et enfin à mener la vente finale. Proche des lecteurs, il peut aussi organiser des événements comme des séances de dédicaces. Il touche entre 30 et 40% du prix de vente.
  • l’imprimeur : il s’occupe de l’industrialisation de la production de l’objet du livre : achat du papier, impression, façonnage du livre… ce qui compte pour entre 10 et 15% du prix de vente.
  • la diffusion-distribution, dont la logistique de stockage et transport, qui compte pour environ 15% du prix de vente.
  • et enfin l’éditeur : c’est le chef d’orchestre. Du choix des textes à publier jusqu’à la création du livre et sa promotion, il accompagne l’auteur, et coordonne les différentes étapes. On compte 1 000 maisons d’édition significatives en France, mais ce sont quelques gros noms qui dominent le secteur, comme Gallimard, Hachette ou Actes Sud. Dernier servi, sa rémunération dépend significativement du succès du livre. Il touche en moyenne 20% du prix de vente.

Le livre “objet” et le livre “idée”

Le livre est un objet original, dans la mesure où l’ouvrage matériel n’est que le support d’autre chose, d’une idée. C’est un petit peu comme un emballage alimentaire : on pourrait être tenté de trouver vain de parler de l’emballage sans parler du contenu, tant l’impact se trouve généralement dans ce dernier. Sauf que là, le contenu, ce n’est pas un aliment mais un récit ou un discours, et que juger de la valeur de cela, ce n’est pas vraiment notre mission à LundiCarotte.
Aussi, on s’abstiendra tout de long de l’article de juger de la qualité d’un livre “idée” et de son impact. On ne dira pas “si vous achetez un livre qui vous fera faire des économies d’énergies, allez-y, mais si c’est un roman qui vous donnera envie de voyager, ce livre a un impact effrayant”. On partira du principe que, pour vous, ce livre, a une valeur importante, qu’il vaut indéniablement la peine d’être lu, et on réfléchira donc à la meilleure manière de le lire…
C’est donc un article qui ne parlera pas un quart de seconde de "moins lire", mais qui tente tout de même questionner l’impact actuel de la filière livre “objet”. C'est parti !

Le livre, bilan carbone

L’association Shift Project, qui étudie collaborativement les enjeux de décarbonation des différents secteurs de l’économie, a produit une étude sur le secteur culturel, avec dedans une partie entière sur le livre. Grâce à une étude réalisée auprès de la maison d’édition Hachette, nous avons avons un ordre de grandeur de l’empreinte carbone d'un livre : ce serait autour de 1,8 kg de CO2eq.
Pour aider à interpréter ce chiffre, voici trois comparaisons tirées de notre panier :
  • c’est l’équivalent d’environ 9 km en voiture ;
  • à raison d’un livre neuf par mois, ça fera environ 20 kg de CO2eq par an, à comparer avec les 9 tonnes par personne en moyenne en France ;
  • si on compte qu’un livre, c’est dix heures de lecture, cela revient à 0,2 kg de CO2eq par heure, soit moins que d’aller boire un demi de bière qui représente 0,6 kg de CO2 eq.
Au final, nous pensons que, en comparaison de la valeur importante de la lecture pour nous faire grandir, l’impact carbone du livre est acceptable (et qu’il serait dommage de se priver de lecture pour cette raison-là).

La mondialisation, chapitre “Le livre”

Cependant, nous croyons tout de même intéressant de réaliser que la filière du livre a d’autres formes d’impacts que les émissions de gaz à effet de serre.
Le bureau d’étude coopératif Le BASIC a calculé dans cette étude que plus des trois quarts de livres imprimés en France le sont avec une pâte à papier non issue des forêts françaises. L’industrie papetière s’est en effet très fortement délocalisée et les livres imprimés et vendus en France sont donc souvent faits à partir de bois venu du Brésil, du Portugal ou encore du Chili.
Illustration
Illustration des flux de matière pour la production des livres en France - Le BASIC
Comme souvent avec nos filières de production, les raisons de la délocalisation (dans notre cas vers le Brésil notamment (page 27)) sont un mélange subtil de localisation de réserves de matière première, de coût du travail légal moindre, éventuellement même d’existence de travail illégal, de normes environnementales et sociales moindres, d’un coût du transport faible …
« Les trois quarts des livres imprimés en France le sont avec de la pâte à papier importée. »
Comme souvent encore, cela a tendance à augmenter l’impact de la filière de plusieurs manières :
  • la baisse des coûts engendre une hausse importante de la consommation et une déconsidération de la valeur de l’objet (qui se traduit souvent par un important gâchis, à l’image des 13% de livres neufs jetés avant d’être lus en France en 2021);
  • quand un territoire produit pour le monde entier, cela engendre une surconcentration de l’impact sur une petite surface et des seuils de soutenabilités sont dépassés. Pour notre filière papier brésilienne, les pressions environnementales principales sont la pression sur les surfaces forestières, alias la déforestation (les plantations en monoculture d’espèces tropicales à haut rendement, comme l’eucalyptus ou l’acacia représentent désormais 7,5 millions d’hectares, soit 15% de la France métropolitaine), et la pression sur la ressource en eau, puisqu’il faut environ 40 000 L pour produire 1 tonne de papier.
  • il est fréquent que le procédé de fabrication, à l’autre bout du monde, soit moins vertueux que celui qu’on aurait pratiqué en France ou en Europe. En éloignant la production de la consommation, on retarde également le moment où l’on se rend compte qu’il y a un problème. Sans compter l’opacité que cela entraîne : en France, on ne peut pas connaître l’origine du papier d’un livre qu’on achète.

Faites tourner les livres !

De surcroît, notons que le livre a une double caractéristique bien particulière : dans l’immense majorité des cas, on ne lit qu’une fois un livre, et cela ne l’abîme pas beaucoup. Le livre est donc, peut-être plus que tout autre objet, idéal pour être échangé d’occasion.
Comme le disait l’écrivain Philippe Claudel, un roman doit être “une communauté de questionnement”. Une des valeurs d’un livre, ce serait de créer un langage commun, des références communes, pour parler avec les autres. Un livre a d’autant plus de valeur qu’il a de lecteurs qui se l’approprient !
Chez LundiCarotte, nous poussons donc fortement pour que les livres circulent, passent de mains en mains sur le marché de l’occasion, au maximum. La circulation des livres (et d’autres biens) est une expérience de partage, enrichissante, qui contribue à soulager une filière mondialisée et à nourrir les communications et le lien social.
Cela engage le lecteur avant sa lecture pour se procurer le livre, et après sa lecture, avant de coller le livre sur une étagère.
Avant la lecture, pour se procurer le livre, on peut d’abord songer à l’emprunter. On peut s’appuyer sur le réseau énorme de médiathèques publiques en France. Non contentes de fournir un catalogue de ressources multiples (et pas juste des livres) pour un coût dérisoire voire gratuit, les bibliothèques et médiathèques sont des lieux de vie et de partage au niveau local (il faut tout de même mentionner que le modèle économique de ces établissements ne fonctionne que comme 'petit frère' du marché de la vente de livres neufs). Évidemment, on peut aussi emprunter directement à des proches : c’est même la promesse de belle discussion entre lecteurs d’un même livre.
Si on ne trouve pas à l’emprunter, on peut aller voir les lieux d’achats d’occasion. Beaucoup de magasins proposent des livres d’occasion. C’est le cas du réseau national des Gilbert Joseph, mais aussi des multiples librairies et ressourceries locales (toutes ne le font pas, mais nous faisons le pari que dans la plupart des villes il existe au moins un magasin de cet acabit). Enfin, il existe pléthore de sites internet spécialisés, les plus connus étant Recyclivre, Momox ou encore les bons vieux Vinted et Leboncoin. Il faut bien dire que ce n’est pas si simple de gérer un large catalogue de livres d’occasion, et qu’en général les sites spécialisés s’en sortent beaucoup mieux que ceux dont c’est une petite partie de l’activité.
Après la lecture, quelques questions s’imposent ! Qui connais-je qui pourrait aimer le lire ? Dans quel magasin (ou boîte à livres) le déposer pour que des futurs lecteurs puissent tomber dessus ? Ou bien vous souhaitez le garder, vous vous êtes attachés au livre, ou vous compter le relire, et personne ici ne vous le reprochera !

C’est une bonne situation, ça, scribe ?

Nous avons dit plus haut que nous distinguions le livre “objet” du livre “idée”, et que nous parlerions plutôt de l’impact du livre “objet”. Maintenant que cela est fait et que nous formulons la recommandation de largement privilégier la seconde main à un achat neuf, nous devons tout de même avoir un regard pour ceux-là, auteurs, libraires, éditeurs, qui contribuent chacun à leur manière à la diversité de la production littéraire.
On ne peut que regretter amèrement que le modèle économique de ces métiers soit quasi uniquement la vente de livres neufs. Nous avons donc réfléchi à comment soutenir ces trois métiers autrement.

Quid des auteurs ?

On a déjà évoqué un peu plus haut les 55 000 auteurs de livre en France dont 2 500 qui en vivent. Quand on parle de soutenir quelqu’un en achetant un livre, c’est souvent à lui qu’on pense.
Voici les trois pistes de LundiCarotte à ce sujet :
  • quand l’auteur est mort, a priori plus besoin de le soutenir … tout ça pour dire que pour des livres “anciens”, acheter d’occasion a encore plus de sens !
  • nous proposons à ceux qui veulent soutenir un écrivain sans acheter son livre neuf d’envoyer un chèque à son nom à sa maison d’édition, il devrait le recevoir. C’est la méthode ancienne, mais nous avons cherché et n’avons pas trouvé de plateforme pour faire cela en ligne (sauf quelques rares sur le site Tipeee). Autre méthode, on peut, en parallèle de lire le livre en seconde main, acheter en ligne le livre électronique (ou un du même auteur), dont une partie lui reviendra.
  • notre soutien aux auteurs peut être autre que financier ! Certains auteurs témoignent de l’importance pour eux de recevoir des retours de lecteurs pour enrichir leur écriture. Pour contacter un auteur, ce n’est pas très compliqué, il faut lui écrire à l’adresse de sa maison d’édition. Autrement, parler d’un auteur à ses proches, témoigner de l’importance de son écriture pour soi, et partager son livre avec eux, c’est aussi un soutien important.
Si ces réflexions ne vous suffisent pas, nous vous recommandons de fouiller dans ce fil de discussion collaboratif sur le sujet.

Quid des libraires ?

On compte en France environ 4 000 librairires, et si le métier fait face une concurrence forte avec les plateformes de e-commerces et les grandes surface, les libraires ne désarment pas, avec chaque année plus d’ouvertures que de fermetures.
Le métier de libraire est un “métier passion”. Il s’agit, au plus près des lecteurs, de faire circuler le goût de la lecture, toutes lectures confondues. C’est un métier qui demande un investissement personnel important, dans lequel gagner sa vie n’est pas évident (c’est le métier de commerce de détail le moins rentable, et le salaire moyen de la profession est de 1700 € nets par mois). Aussi, chez LundiCarotte, nous n’avons pas peur de dire qu’un monde sans librairie, ce serait vraiment dommage, et que ce métier mérite d’être soutenu en privilégiant les librairies de proximité aux grandes surfaces ou au e-commerce.
Mention spéciale à Amazon, dont la part de marché des livres en France est estimée à 10%, qui propose des conditions de travail réputées particulièrement rebutantes, tandis que l’entreprise ne paye aucun impôt en Europe.

Quid des éditeurs ?

S’il a un pied chez l’imprimeur en orchestrant la commande du livre “objet”, l’éditeur en a aussi un chez l’auteur en le soutenant dans son processus de création. Nous réfléchissons chez LundiCarotte à comment l’on peut soutenir des maisons d’éditions autrement qu’en achetant leurs livres neufs mais pour l’instant, on n’a pas d’idée miracle. En attendant, rendons nous compte de la richesse d’avoir une myriade de maisons d’édition avec des sensibilités différentes, des projets culturels différents, des méthodes pour accompagner les auteurs différentes … tout cela contribue à la diversité de la production littéraire. Intéressons-nous aux maisons d’éditions des livres qu’on aime, essayons de comprendre qui elles sont, et émerveillons nous de savoir qu’il existe 660 maisons d’éditions de moins de 10 salariés.

Les astuces carotte littéraires

En guise d’épilogue, voire de quatrième de couverture, voici quatre astuces carottes qui nous tiennent particulièrement à coeur :
  • ne pas se priver de lire pour des raisons écologiques, mais avoir conscience qu’il y a tout de même un coût écologique à l’objet livre ;
  • faire circuler au maximum les livres, il y a plein plein plein de bonnes raisons à cela;
  • pour soutenir les auteurs vivants, en plus d’acheter leur livre, vous pouvez parler d’eux autour de vous, et/ou leur envoyer du courrier via leur maison d’édition;
  • privilégier les achats en librairie pour soutenir ce métier précieux et difficile.
Voilà que votre lecture touche à sa fin. Nous espérons que notre prose était à votre goût, et surtout qu’elle vous aidera à réfléchir à la place du livre dans votre quotidien, et ce que vous soyez lecteur avide ou tourneur de page du 36 du mois.
Florence Ramel, Servane Courtaux, et Théodore Fechner
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