Ce lundi, on donnerait bien père, mère et carottes pour vous emmener profiter du soleil en terrasse d'un restaurant avec LundiCarotte. Hélas, confinement oblige (#restezchezvous), notre souhait ne va pas pouvoir être exaucé tout de suite. Histoire de tout de même se mettre une carotte sous la dent, nous nous sommes tournés vers une alternative à la mode en ce moment : la livraison de repas à domicile.

Le repas est servi !

Le 4 mai 2020
Ce lundi, on donnerait bien père, mère et carottes pour vous emmener profiter du soleil en terrasse d'un restaurant avec LundiCarotte. Hélas, confinement oblige (#restezchezvous), notre souhait ne va pas pouvoir être exaucé tout de suite. Histoire de tout de même se mettre une carotte sous la dent, nous nous sommes tournés vers une alternative à la mode en ce moment : la livraison de repas à domicile.
Vignette de l'article Le repas est servi !

Quand les restaurants s’invitent dans nos canapés

Aujourd'hui, rien n’est plus facile que de sortir son téléphone lorsqu'on a envie de manger sans cuisiner. Pourtant, les plateformes de livraison de repas à domicile sont un phénomène plutôt récent en France.
Leur essor date du tournant des années 2010, avant quoi la livraison de repas à domicile était principalement faite par des enseignes de restauration rapide qui distribuaient des dépliants dans nos boîtes aux lettres et livraient directement pizzas, sushis ou cuisine indienne.
On peut donc voir les nouvelles plateformes comme un intermédiaire entre nous et ces restaurateurs livrant à domicile – avec l'avantage qu'en centralisant l'information, elles nous permettent de voir en un clic toutes les possibilités qui s'offrent à nous. Le concept a fait recette : le marché de la livraison de repas représentait 3,3 milliards d'euros en 2019 en France, soit 5 % de la restauration commerciale, et progresse de près de 20 % par an. Le cabinet spécialisé Food Service Vision estime qu'environ 3 commandes sont passées chaque seconde en France, pour un prix moyen de 16 € – autant dire que ça en fait, des carottes (entre 5 et 8 kg pour des carottes bios entre 2 et 3 €).
« En France, en moyenne, 3 commandes de nourriture en livraison sont passées par seconde. »
Devant une telle expansion, si nos appétits sont bien rassasiés, il n'en va pas de même pour les plateformes en question. La compétition est telle que rares sont les entreprises rentables. C'est pour cela que Foodora, l'un des pionniers du secteur, a fini par déposer le bilan en 2018. Parmi les entreprises restantes, trois modèles sont à distinguer. Certaines plateformes comme Just Eat mettent directement en relation les clients avec des restaurants qui assument eux-mêmes la livraison. D’autres, comme Uber Eats et Deliveroo, assurent le service de livraison pour le compte des restaurants. Finalement, il existe aussi des restaurants dématérialisés, tel FoodChéri ou Frichti, qui s’occupent à la fois de la cuisine et de la production.
Au sein de ce paysage diversifié, la multinationale américaine Uber Eats et la britannique Deliveroo s'affrontent dans une guerre des géants – la première affichant 12 000 restaurants partenaires dans 85 agglomérations françaises et la seconde, 10 000 restaurants partenaires dans 200 villes.
Illustration
Sur leurs publicités, les plateformes sont toujours impeccables, mais qu'en est-il vraiment ?
Face à un tel phénomène, nous voulions en savoir plus sur les dessous de ces entreprises. Nous sommes donc allés recueillir des informations de première main auprès d’un ancien livreur Deliveroo. Roma, qui fut livreur 6 mois chez Foodora avant de passer chez la concurrence durant 3 ans, a accepté de nous raconter son expérience.

Quand on partait sur les chemins, à bicyclette…

Parlons bien, parlons carbone. Bien que la plupart des livraisons se fassent à vélo, certaines plateformes telles Uber Eats et Deliveroo laissent le choix à leurs livreurs d’opter pour un scooter. De plus, Roma nous confie que l’augmentation considérable du nombre de scooters est aussi en partie due au mode de rémunération. Chez Deliveroo, il est à présent calculé en fonction de la distance et non plus payé à la course, ce qui favorise les scooters, plus rapides pour couvrir de longues distances, et ce, malgré le prix de l’essence qui est à la charge des livreurs.
Cette politique est assez cohérente avec le mantra des plateformes : une satisfaction quasi-immédiate du consommateur – d'où le terme bien trouvé du "click-and-eat" (attention les yeux, cet article n’est pas garanti sans anglicismes). Il n'en reste pas moins que le bilan carbone devient tout de suite plus lourd, puisqu’un scooter émet en moyenne 87 g de CO2/km contre en moyenne 130 g de CO2/km pour une voiture neuve.
À ce niveau-là, mieux vaut privilégier les sociétés qui garantissent 100 % des livraisons à vélo, comme Frichti, par exemple.
Au-delà des scooters, ces entreprises recourent régulièrement à des expéditions "one-shot" au cours desquelles un seul repas est livré. Cette pratique empêche de faire des économies en matière d’émissions de gaz à effet de serre.

Mais qu'est-ce qu'il y a de bon là-dedans, dites-moi ?

Avant de nous régaler, penchons-nous sur l'emballage qui maintient les mets au chaud. Pour la plupart des plateformes, l’emballage ne dépend pas d’elles, mais du restaurateur. Dès lors, difficile de contrôler la quantité de plastique qui accompagnera les repas. Seules les plateformes produisant elles-mêmes les repas peuvent s’engager sur un emballage responsable et biodégradable.
Nous y voilà à présent, vous allez pouvoir vous régaler. Au fait, qu’est-ce qu’on mange ?
Illustration
Classement des commandes de nourriture en livraison - source Datalicious
Selon une étude menée en 2019 par l’Observatoire des nouveaux modes de restauration de Just Eat, un autre mastodonte du marché, les livraisons de repas à domicile sont toujours plutôt orientées vers de la cuisine de fast-food. On ne va pas s'étendre plus longtemps sur les potentiels dangers (sanitaires) et conséquences (environnementales et sociales), mais on vous renvoie à notre article sur le sujet si vous souhaitez en savoir plus.
Bien sûr, en cherchant un peu, vous pourrez aussi trouver sur ces applications des enseignes plus saines (ou 'healthy', si vous préférez le langage fleuri de la 'foodtech') tel que Jour, Le pain quotidien ou encore Exki
Les plateformes qui cuisinent elles-mêmes leurs repas, comme Frichti ou FoodChéri, parviennent à tirer leur épingle du jeu grâce à une carte plus courte, mais axée sur le bio et le local, avec des produits de saison et des producteurs soigneusement “sélectionnés”. Sur l'intention, on ne peut qu'être d'accord.

Les dessous pas toujours reluisants de la livraison

Depuis quelques années, nous entendons de plus en plus parler du phénomène d’ubérisation, qui semble avoir fait tache d’huile, de la plateforme au nom éponyme à de nombreux autres services à la personne. Ce néologisme provient des plates-formes numériques qui mettent en relation directe prestataires et demandeurs moyennant le prélèvement d’une commission sur les transactions. On change donc la donne hiérarchique au sein du monde du travail. Nous abordions d’ailleurs déjà le sujet des “juicers” dans notre article sur les trottinettes électriques.
En effet, les livreurs exercent sous le statut d’autoentrepreneur. Comme ils n’ont pas de contrat de travail à proprement parler, ils ne sont pas soumis aux mêmes règles de travail qu’un salarié. Ils peuvent par exemple exercer plusieurs activités en parallèle. Au lieu d’être leurs propres patrons, les coursiers se retrouvent en réalité dans une situation de subordination par rapport à la plateforme. C’est l’application qui leur envoie les instructions sur l’heure et le lieu où aller chercher les commandes. Les coursiers risquent même d’être radiés de l’application si jamais ils refusent de prendre un nombre important de commandes.
Tournons-nous à présent vers le profil des livreurs. La plupart d’entre eux sont assez jeunes et alors que certains, comme Roma, livrent en parallèle de leurs études, d’autres cumulent deux emplois. Roma nous déclare toutefois que le nombre de livreurs dans des situations précaires, pour qui ce travail est la seule source de revenu, a considérablement augmenté ces dernières années. Il nous alerte aussi sur l’existence d’un marché noir dans le monde de la livraison : certaines personnes sous-louent leur compte illégalement à des immigrés clandestins, des chômeurs ou des mineurs en leur prélevant de 30 à 50 % de leurs revenus.
« Certaines personnes sous-louent leur compte de livreur illégalement à des immigrés clandestins, des chômeurs ou des mineurs en leur prélevant de 30 à 50 % de leurs revenus. »
Ces travailleurs précaires doivent alors cumuler parfois plus de 50 heures par semaine pour pouvoir vivre décemment et ce, quelles que soient les conditions météorologiques. De plus, circulant pour la grande majorité en deux-roues, ils ne sont pas à l’abri des accidents de la route, surtout lorsqu’ils livrent dans les “jungles urbaines” comme Paris.
Ces risques ne sont pas anodins, puisqu’ils sont souvent même encouragés par les plateformes. En effet, la rémunération d’un coursier peut varier en fonction de la note attribuée par le client, elle-même dépendante de la rapidité de la livraison. Un livreur qui n'accepte pas toutes les commandes ou qui met trop de temps à effectuer ses livraisons peut voir son compte désactivé temporairement de l’application. Cette mésaventure est d’ailleurs arrivée à Roma, qui nous raconte que certains clients n’hésitent pas à mettre une mauvaise note, simplement pour se faire rembourser leur commande, totalement inconscients de l’impact de leur action. Donc, la prochaine fois, réfléchissons à deux fois avant d’attribuer une mauvaise note au livreur !

Pédaler à bon compte

Illustration
Coopcycle, une alternative aux plateformes d’ubérisation.
Nous ne voudrions tout de même pas vous laisser sur une note aussi négative. Tout d’abord, en partie suite aux divers scandales qui les ont éclaboussées, quinze plateformes employant des travailleurs indépendants, dont Deliveroo, Uber Eats et Frichti, ont adopté fin 2019 une “charte de bonnes pratiques” en vue d’améliorer les conditions de travail des coursiers.
Ensuite, face à ces grandes entreprises, des alternatives émergent dans plusieurs villes de France. Celles-ci se constituent sous la forme coopératives locales, ce qui marque une rupture radicale avec les modèles des start-ups contrôlant le marché. Ces coopératives recourent au logiciel libre Coopcycle, terme qui désigne aussi la Fédération européenne de coopératives de livraison à vélo écologiques et socialement responsables. Dès lors, leurs coursiers ont voix au chapitre en matière de rémunération et leur objectif à long terme est de pouvoir salarier les livreurs afin de leur garantir une couverture sociale et une retraite dans l’avenir.

Et quid du Covid ?

Alors que la France est confinée dans ses appartements, les livreurs de repas continuent, eux, de pédaler dans nos rues.
Il est vrai que sans ces expéditions, les livreurs peineraient à boucler leur fin de mois, puisqu’ils ne sont pas éligibles au chômage partiel et ne peuvent pas poser de congés payés. De plus, cela permet également à un certain nombre de restaurateurs de continuer en partie leur activité malgré la fermeture de leurs établissements.
Pourtant, en dehors de quelques consignes communiquées par les plateformes pour livrer sans entrer en contact avec le client et de masques à usage unique envoyés sur le tard, ces derniers ne sont que peu protégés contre la transmission du virus. Alors, quand on apprend qu'ils sont parfois commissionnés pour un paquet de cigarettes ou un Kinder Bueno, la carotte nous reste un peu en travers de la gorge.
En définitive, difficile d’émettre un avis tranché sur la question et nous vous laisserons faire vous-même le calcul risques/bénéfices du recours à ces plateformes.

Des AstuceCarottes livrées directement et sans intermédiaire

  • Quitte à commander son repas en ligne, si c’est possible, demandons-le sans couverts. Vous en avez probablement déjà chez vous.
  • S'il existe une plateforme autogérée type Coopcycle dans votre ville, n'hésitez pas à vous renseigner et à requérir ses services.
  • Si vous voulez soutenir vos restaurants préférés sans exposer votre livreur en ces temps de Covid, Deliveroo propose d'aller chercher son repas directement au restaurant, en évitant ainsi l'implication d'un intermédiaire.
  • Si la cuisine vous semble un continent inconnu, mais que vous êtes prêt à mettre la main à la pâte, pensez à des alternatives comme Quitoque ou les Commis qui livrent des produits bruts accompagnés de recettes inspirantes pour se régaler.
  • Et bien sûr, on peut s’atteler à peler soi-même ses carottes... Rien de mieux qu'un repas concocté maison avec des fruits et légumes de saison !
Alice Leleu et Mohamed Youssouf
Partager ce LundiCarotte
MAILTWFB