Aujourd’hui, nous prenons notre courage à deux mains pour aller sillonner les allées de ce que certains appellent le "temple de la consommation" : le supermarché. Inventé peu après la Seconde Guerre mondiale, le moins qu’on puisse dire, c’est que le concept a super (bien) marché… Mais aujourd’hui, l’impact du secteur et son rapport aux enjeux de durabilité sont sujets à controverse. Accrochez-vous à votre caddie, et c’est parti !

On remplit le caddie

Le 16 mars 2024
Aujourd’hui, nous prenons notre courage à deux mains pour aller sillonner les allées de ce que certains appellent le "temple de la consommation" : le supermarché. Inventé peu après la Seconde Guerre mondiale, le moins qu’on puisse dire, c’est que le concept a super (bien) marché… Mais aujourd’hui, l’impact du secteur et son rapport aux enjeux de durabilité sont sujets à controverse. Accrochez-vous à votre caddie, et c’est parti !
Vignette de l'article On remplit le caddie

La Grande Distribution, quèsaco ?

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À Sainte-Geneviève-des-Bois, l’un des premiers hypermarchés de France en 1963 - Huffingtonpost.fr
Le premier supermarché français, baptisé l’Express Marché, ouvre ses portes en 1958 à Rueil-Malmaison. À l'époque, le concept est révolutionnaire pour trois raisons :
  • Des produits vendus en libre-service, et non plus au comptoir ;
  • Des prix plus bas qu’ailleurs ;
  • Surtout, une offre gigantesque pour l’époque, avec 2 000 produits différents et "tout sous le même toit". Plus besoin d'aller séparément à la crémerie, à la boulangerie, à la charcuterie...
Soixante ans plus tard, la grande distribution (les hypermarchés, les supermarchés, et les supérettes), est devenu le modèle dominant : on compte environ 44 000 points de vente en France) et 2 achats alimentaires sur 3 y sont effectués. Derrière de multiples "marques", nous retrouvons 8 grands groupes : le groupe Casino (avec Géant, Franprix, Monoprix et même Naturalia), les groupes Auchan (dont Simply), Carrefour (dont 8 à Huit, Dia, Champion…), Intermarché (dont Netto), Leclerc, Système U et les Allemands Aldi et Lidl complètent le tableau.
Le rapport des Français à la grande distribution est compliqué. Récemment, suite au coronavirus, 41 % d’entre eux ont positivement changé leur regard sur ce secteur.
En 2021, la grande distribution réalisait une marge brute moyenne de 30 % (c’est-à-dire qu’elle achetait à 70 et revendait à 100), mais une fois qu’elle avait payé ses salariés et ses autres coûts, il ne restait pas de gros bénéfices (1 à 2 %). Et pour cause, les distributeurs mènent entre eux une guerre des prix (vers le bas) pour attirer les clients. La concurrence est rude et certaines entreprises de GMS (Grandes et Moyennes Surfaces, c’est l’acronyme officiel du secteur) ne sont pas en si bonne santé (vous avez sûrement entendu parler de la situation de Casino, mais également Auchan…). À fortiori, le secteur est aujourd’hui significativement bousculé par l'émergence du e-commerce, auquel il s'adapte via le concept de "drive".
À noter qu'entre temps, l'inflation est passée par là. D'après l'Insee, la marge de la grande distribution a grimpé fin 2023 à 48 % ! Elle est récemment accusée de profiter de la situation inflationniste en augmentant les prix de façon excessive.

Ça marche super…

Le monde du supermarché peut se targuer de quelques belles réussites.
Commençons par remarquer l’importance du secteur en matière d’emploi : 660 000 en 2018. Difficile de savoir pour autant si plus ou moins d’emplois existeraient sans la grande distribution. Une étude statistique sur 20 ans publiée en 2006 (page 82) conclut que la création d’emplois de la GMS se fait au détriment des épiceries, mais pas des commerces spécialisés (boulangerie, boucherie, fromagerie...). Une spécificité des GMS est de proposer des emplois faiblement qualifiés (deux tiers), ce qui, de façon peut-être contre-intuitive, est tout de même important pour le bon fonctionnement de notre société. Le secteur revendique d’ailleurs d’être l’un des derniers "ascenseurs sociaux", car la moitié des cadres du secteur y sont entrés comme employés.
Deuxième considération : la grande distribution tente de s’adresser à tout le monde : tous les budgets, tous les régimes, tous les goûts… Évidemment, ce n’est pas parfaitement réussi et on peut sortir bredouille d’un supermarché, mais c’est tout de même un lieu où l'on croise des personnes de tous horizons. Ça compte, à une époque où il n’est pas toujours facile de ne pas vivre dans une bulle.
Troisièmement, l’efficacité logistique d’un supermarché permet de baisser le prix des denrées alimentaires, et ce alors que le pouvoir d’achat est plus que jamais une préoccupation omniprésente. Bonus : le "tout sous le même toit" fait aussi gagner (potentiellement) de précieuses heures aux Français.
Trois avantages donc : de précieux emplois, un lieu qui s’adresse à tous, et qui répond à la préoccupation largement partagée du pouvoir d’achat.

... mais à quel prix ?

La stratégie de la grande distribution est celle de la quantité. En effet, pour une enseigne, vendre plus signifie, d’une part, des économies d’échelle en matière de logistique et, d’autre part, la possibilité de mieux négocier les prix auxquels elle achète ses produits, donc plus de marge.
Pour vendre plus, le premier levier est de … baisser les prix ! C’est un peu le serpent qui se mord la queue. C’est pourquoi les entreprises de l’agroalimentaire et les agriculteurs accusent les distributeurs de "détruire de la valeur".
Cette stratégie d’augmentation des ventes a aussi pour conséquence naturelle d’inciter à la consommation, que ce soit :
De plus, la stratégie de fixation des prix des enseignes, qui prend en compte le potentiel financier des clients cibles, a pour effet de baisser encore un peu plus les prix des produits très populaires, malheureusement souvent mauvais pour la santé (comme le Nutella ou le Coca) et, à l’inverse, d’augmenter le prix des produits "CSP+" comme le bio.
Parlons maintenant du gaspillage alimentaire. En France, la distribution alimentaire serait directement responsable de 1 400 000 tonnes de gachis par an, soit 20 kg/personne/an (sur un total de 140 kg/personne/an si l’on prend toute la filière). Il nous semble en plus que la GMS joue un double rôle négatif sur la banalisation du gâchis alimentaire. D’une part, en baissant le prix des denrées alimentaires, elle atténue la perte (en euros) causée par le gâchis d’une tonne de nourriture et donc, indirectement, le favorise. Ensuite, en nous promettant que nous trouverons toujours ce que nous cherchons, ce qui implique que les rayons soient toujours bien fournis, la GMS fait le choix délibéré d’avoir trop plutôt que de risquer de ne pas avoir assez.
Enfin, reparlons rapidement de l’emploi. Dans un article paru dans la Revue de l’IRES (Institut de recherches économiques et sociales), l’auteur revient sur les difficultés au travail rencontrées dans le secteur, comme les renouvellements d’équipes fréquents ("turn-over")., les horaires difficiles, le travail le week-end, qui plus est, pas toujours valorisant… L’emploi en GMS se caractérise également par beaucoup de contrats à temps partiel (pas toujours volontaire) et des niveaux de salaire plutôt faibles.

S’y retrouver dans un supermarché classique

Tout ceci étant dit, voyons ensemble comment faire des courses durables.
Voici d’abord quelques repères par rapport aux produits d’un supermarché "classique".
Première clé de lecture importante : on y trouve des produits de marque classiques ("marques nationales" dans le jargon) et des produits de marque de distributeur (MDD). Les MDD sont les marques gérées par les enseignes elles-mêmes. Exemple : Casino demande à une entreprise industrielle de lui fabriquer des pâtes, avec un certain cahier des charges, un emballage sur mesure, un prix d’achat convenu et ça donne ça :
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Exemple de spaghetti MDD
L’industriel s’y retrouve, car c’est une grosse commande dont il n’a pas à s’occuper de la commercialisation, Casino s’y retrouve aussi, car il achète ses sachets de pâtes à prix significativement inférieur que celui des pâtes "de marque" dont le prix prend en compte toutes les dépenses publicitaires, et le consommateur également. Voilà le modèle économique des MDD (qui représentent un tiers du marché tout de même !).
Contrairement aux idées reçues, un produit de MDD n’est pas systématiquement "moins bien" que le produit de marque équivalent. Seulement 4 % des MDD sont vraiment positionnés premiers prix & très bas de gamme ! A l’inverse, par exemple, dans le secteur du café, les produits MDD sont presque tous labellisés Commerce Équitable alors que très peu de marques classiques le sont. (en fait, seuls ). Pour autant, la vertu du modèle est ambiguë. C’est indéniablement un "plus" pour le pouvoir d’achat (par exemple les produits bios des MDD sont en moyenne 15 à 30 % moins chers que la marque bio) et c’est sympa de savoir que c’est entre autres parce qu’il y a moins de publicité faite dessus. Mais faut-il souhaiter des magasins avec uniquement des MDD ? Dur à dire… ça ne fait pas franchement rêver. Cette question interroge notre rapport aux marques, au marketing, à l’innovation, la diversité ou l’uniformité … Vaste sujet dont nous aimerions faire un article spécifique un de ces quatre !
Second repère : les produits bios. Ceux-là sont parfois dans un rayon dédié, parfois intégrés dans chaque rayon, mais on en trouve systématiquement. Le bio représente 5 % des ventes des distributeurs. Le "bio de supermarché" a parfois mauvaise presse, mais nous pensons malgré tout que, toutes choses égales par ailleurs, prendre la référence bio plutôt que celle non bio est un acte de consommation durable, même dans un supermarché ! Idem pour le vrac !
Troisièmement, encore contrairement aux idées reçues (décidément !), il est possible de trouver des produits de petits "producteurs" dans les supermarchés : 3 % des ventes sont issues de TPE (entreprises de moins de 10 salariés) et 10 % de PME (moins de 500 salariés). Il est intéressant de remarquer que la part des ventes de chaque famille est assez proche de la place qui lui est laissée en rayon (l'œuf ou la poule ?)
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Dernière idée reçue, les stands "à la découpe", qui ne sont pas des escroqueries en bande organisée : ils n’ont pas le charme et l’indépendance de boulangeries, fromageries…, mais sont tout de même tenus par des spécialistes, avec une stratégie d’approvisionnement spécifique. Pour l’anecdote, les magasins font en général moins de marge dans ces rayons, mais misent sur le fait que cela fait venir du monde ! Autre avantage de ces stands : la possibilité de ramener ses contenants pour éviter les déchets.
Concernant le gaspillage alimentaire, n’hésitez pas à aller faire un tour vers le bac des produits en fin de vie. Si vous ne le trouvez pas, n’hésitez pas à demander votre route à un vendeur et s’il n’y en a pas, alors demandez ce que deviennent les invendus, il y en a forcément. Vous pouvez aussi utiliser les applications Too Good To Go ou Phenix pour accéder à des paniers de produits invendus (et à prix réduit).

Les supermarchés alternatifs

Un petit mot ici sur les quelques supermarchés un peu spécifiques qui peuvent aussi être des leviers de durabilité pour faire ses courses :
  • Les magasins spécialisés bios
Les magasins bios sont les premiers "outsiders" (3 000 magasins en France) de la grande distribution classique (même si certaines enseignes appartiennent aux mêmes groupes, comme Naturalia (Casino) ou Bio C' Bon (Carrefour)). Comme leur nom l'indique, on y trouve presque exclusivement des produits labellisés Agriculture Biologique, dont certains en vrac (9 %), certains locaux, certains en MDD (6 %) …
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Les enseignes bios en France - Réalisé par l’équipe LundiCarotte
  • Les supermarchés coopératifs
Il existe aussi des supermarchés coopératifs et participatifs. L'objectif : redonner le contrôle au consommateur sur les produits qu'il trouve en magasin. Chaque membre du supermarché porte ainsi une triple casquette. Comme dans un supermarché ordinaire, il est d'abord client. Il est aussi propriétaire : pour y faire ses courses, il faut acheter des parts sociales de l'entreprise. Reste le plus surprenant : chaque membre est aussi ‘employé’ ! C'est l'aspect participatif : il faut accepter de donner, chaque mois, trois heures de son temps au supermarché, que ce soit aux caisses ou à l'entrepôt. Ce modèle permet de réduire les frais du magasin et, donc, le coût des produits : de 20 à 40 % moins cher en moyenne et à qualité équivalente, soit plus de 60 € d'économies mensuelles sur le budget alimentaire moyen d'un Français, qui est de 295 € par mois. C’est un modèle exigeant et ambitieux, mais qui va franchement dans le sens de la reconnexion du consommateur avec les filières de production ! Et la liste ne cesse de s'allonger.
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Quelques supermarchés coopératifs français - Réalisé par l’équipe LundiCarotte
  • Les magasins de vrac
Sous l’influence du mouvement zéro déchet, le vrac se démocratise de plus en plus, à tel point que certaines enseignes y sont entièrement dédiées. Outre les initiatives indépendantes que l'on peut retrouver sur cette carte interactive, il y a la franchise Day by Day.
  • Les magasins anti-gaspillage
Ces magasins ne sont pas encore très démocratisés, mais sachez qu'il en existe. Et on vous conseille vivement de tenter l'expérience ! En plus des bienfaits environnementaux évidents, ils permettent parfois de réduire la facture jusqu'à 30 %. On peut citer la chaîne NOUS anti-gaspi, où AB Distribution, dans le 18e arrondissement à Paris par exemple. Si vous habitez aux États-Unis, vous pouvez vous rendre au supermarché anti-gaspillage, éphémère, itinérant et gratuit de Rob Greenfield.

Le monde sans supermarché ?

Après avoir tiré le portrait aux supermarchés, il faudrait parler de la vie sans supermarché ! Les premières alternatives évidentes sont les commerces de proximité et les circuits courts. Nous aimerions aborder ces sujets prochainement, avis aux bonnes volontés !
En guise de mise en bouche, vous pouvez jeter un œil au site "jours-de-marché.fr", un annuaire communautaire répertoriant les différents marchés et leurs spécificités. Même si l’idée de faire plusieurs magasins semble rébarbative, il s’agit avant tout d’une organisation différente. Prendre plus de temps pour choisir ses produits, d’un point de vue écologique, social et économique invite ainsi à la sobriété et à considérer le produit à sa juste valeur. Surtout en France, dans un territoire aimant tant la gastronomie et les produits du terroir ! Il n’y a qu’à voir les files d’attente aux boulangeries : il ne viendrait pas à l’esprit de beaucoup d’acheter du pain en supermarché. Et si l’on faisait de même avec d’autres produits, leur reconnaissant ainsi la noblesse qu’ils méritent, comme les légumes, le fromage, la viande ou le poisson ?
Voilà voilà pour les supermarchés. Comme annoncé, c’est un monde compliqué. On essaye d’y voir clair, mais ce n’est pas simple. Dans cet article encore plus que dans d’autres, pas de recette miracle, si ce n’est celle de s’intéresser à ce qu’on consomme.
De manière générale, la question du supermarché permet de synthétiser notre rapport à la consommation. Dans l’inconscient collectif, le supermarché est vu comme la solution la plus économique, mais qui empêche de meilleurs modes de consommation. Nous pensons tout de même qu’aussi bien au supermarché classique que dans des supermarchés alternatifs, ou sans supermarché, il est possible de faire des courses durables, mais les chemins sont différents (et complémentaires alors). À chacun d’explorer !
Andréa Vieira & Théodore Fechner
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