Cette semaine, LundiCarotte se penche sur les enjeux environnementaux d’un univers familier pour une bonne partie de nos lecteurs : les jeux vidéo. À la fin de l'article, on vous parle aussi d'un évènement auquel nous allons participer.

Inconsolables

Le 15 avril 2019
Cette semaine, LundiCarotte se penche sur les enjeux environnementaux d’un univers familier pour une bonne partie de nos lecteurs : les jeux vidéo. À la fin de l'article, on vous parle aussi d'un évènement auquel nous allons participer.
Vignette de l'article Inconsolables
Avant de commencer, la Rédac' admet d'office que le sujet est polémique. Est-il bien raisonnable de rationner les émissions carbone de nos divertissements, sachant qu'ils peuvent par exemple nous changer les idées face aux infos parfois démoralisantes de notre monde ? Ne vaudrait-il pas mieux s'attaquer à d'autres sujets avant ? Ou serait-il, à l’inverse, un secteur dans lequel il serait possible de faire beaucoup d’efforts environnementaux ? LundiCarotte n'a pas peur des mots et met les pieds dans le plat.

Mario au Congo

Avant de parler de l’utilisation et de la consommation des jeux vidéo, intéressons-nous à la manière dont nos consoles, ordinateurs et autres smartphones sont fabriqués.
En mettant les mains dans le cambouis, on y trouve des métaux lourds comme l’étain, le tungstène, le tantale ou encore l’or, qui ont des propriétés physico-chimiques très intéressantes pour l’électronique. Moins connus que les terres rares, ces minerais sont pourtant à la base de tous nos équipements numériques.
Illustration
Vue aérienne d’une mine de coltan à Rubaya, au Congo
Depuis les années 2000, une guerre armée ravage la République démocratique du Congo, faisant plusieurs millions de victimes et détruisant de nombreux écosystèmes forestiers, dont les habitats des gorilles. Parmi les enjeux de cette guerre : le contrôle des mines de coltan, minerai dont on extrait le tantale, lui valant l'appellation de « minerai de sang ».
Au lancement de la Playstation 2 (anglais), les prix du coltan ont tellement augmenté que certains ont baptisé les conflits armés la [Playstation War (guerre de la Playstation). On peut comprendre que Donkey Kong soit passablement énervé après ça !
Pour autant, rappelons que ces matériaux ne sont pas utilisés que pour les jeux, mais pour l’ensemble de nos équipements électroniques, de la télévision à la montre connectée, en passant par la borne tactile.

Panique dans la poubelle

La dangerosité de ces matières premières pour l’environnement a notamment été pointée du doigt par l’ONG Greenpeace dans son rapport Playing Dirty, en 2008. L’occasion pour nous de revenir sur un autre enjeu majeur de l’électronique : les déchets générés et leur recyclage.
En effet, d’après un rapport de l’Université des états-Unis, il semblerait que seulement un sixième des déchets électroniques produits en 2014 (41,8 millions de tonnes, dont 7 % provenant du numérique) ait été recyclé.
En ce qui concerne notre sujet du jour, les chiffres des déchets sont éloquents : l’éditeur de jeu BigFish annonce en 2013 que 3 millions de tonnes de consoles et de jeux ont été produits dans le monde et que seulement 780 tonnes ont été recyclées.
Alors que la production de disques de jeu a un impact écologique assez faible, leur recyclage s’avère plus problématique. Ils sont composés majoritairement de polycarbonate, un matériau difficilement recyclable. Peu d’établissements sont capables de les traiter.
Si l’on souhaite se débarrasser de vieux ordinateurs, consoles, disques, on peut :
  • Les revaloriser sur le marché de l’occasion ou du reconditionnement (vaut aussi lorsque l’on souhaite acquérir un nouvel équipement)
  • Consulter les recommandations de son fabricant
  • Chercher des bornes de recyclage

Branchez les centrales

En France ou ailleurs, le jeu vidéo fait beaucoup d’adeptes : nous serions près de deux milliards de joueurs dans le monde ! 47 % des joueurs français utilisent une console (PDF) de salon, 55 % un PC et 59 % un smartphone, ce qui indique une pratique multi-support.
Pourtant, très peu d’études portant sur la consommation électrique des jeux vidéo sont disponibles, autant chercher un électron dans une centrale ! Toutefois, depuis 2014, une équipe de chercheurs en Californie travaille d’arrache-pied sur le sujet. Elle a notamment publié un rapport en septembre 2018 intitulé Jeu vidéo vert : efficacité énergétique sans compromis de performance (anglais).
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’énergie requise par nos consoles et ordinateurs est colossale ! Les jeux représentent non seulement la plus grosse source de consommation d’énergie d’un ordinateur, mais ils comptent parmi les utilisations d’électricité les plus intensives des foyers.
Illustration
Données issues du rapport de l’UC Berkeley
À l’échelle mondiale, les jeux vidéo représentent 7 % du trafic Internet. Cela peut paraître peu, mais ils consomment 75 térawattheures par an, soit l’équivalent 10 réacteurs nucléaires ! Ça donne le tournis...
Outre le trafic internet, la consommation d'énergie globale des jeux videos diffère largement selon le support utilisé : les “Gaming PC” par exemple sont en moyenne plus énergivores que les PC classiques (qui consomment 6 fois moins) ou encore les consoles de jeu (10 fois moins). Ces ordinateurs surpuissants représentent 2,5 % du parc mondial d’ordinateurs personnels, mais consomment 20 % de son électricité. D'autre part, plus les écrans sont grands, plus ils nécessitent d’électricité.
« Les PC spécialisés pour le jeu vidéo consommeraient 6 fois plus d’énergie que les ordinateurs classiques. »
Qui dit électricité dit émissions de CO2 : aux États-Unis, en 2018, pour 6 milliards de dollars d’électricité par an, les joueurs émettent environ 12 millions de tonnes de CO2 . L’exemple français est à relativiser, puisque la majorité de notre électricité est issue du nucléaire (faibles émissions de CO2).

Mon beau serveur, roi des données

Quant à la dématérialisation, si elle permet d’économiser le pétrole lié à la fabrication des jeux, elle pose aussi des problèmes énergétiques. Selon une étude réalisée par The Journal of Industrial Ecology, télécharger un jeu de 1,3 GB (ou plus) polluerait davantage que l’acheter en boutique !
Cette consommation croissante d’électricité ne risque pas de diminuer… surtout avec la montée en puissance du streaming (le jeu via Internet sur des serveurs à distance). Nous vous parlions déjà de l’impact énergétique des data centers (centre de serveurs) dans notre article sur Internet.
Pour nous donner une idée de ces deux enjeux, prenons l’exemple du jeu “Grand Theft Auto V” :
  • Il pèse 65 GB en téléchargement local.
  • Son utilisation en streaming consomme 11 GB par heure (soit l’équivalent du’un jeu complet toutes les 6 heures de jeu).
Malheureusement, plus de joueurs signifie plus de flux, ce qui peut devenir insoutenable pour l’infrastructure du Web. En prévision des embouteillages sur le Net, 65 nouveaux câbles sous-marins seront installés entre 2019 et 2021 pour relier le réseau, soit 281 000 km supplémentaires, au détriment des fonds marins.

Les lueurs d'espoir

Pour autant, les constructeurs sont tout de même sur la bonne piste, avec des consoles de plus en plus efficaces énergétiquement. Par ailleurs, Greenpeace saluait en 2008 les efforts de certains constructeurs pour supprimer des substances dangereuses comme le bérillyum, le PVC, les phtalates ou le brome de leurs dernières consoles.
Ce sont en revanche les usages (une foule de fonctions additionnelles comme le streaming de films, la détection vocale ou l’ajout de matériels lumineux) qui font rapidement monter la facture EDF !
Au palmarès des dispositifs les moins énergivores, la Nintendo Switch, qui consomme entre 8 et 75 fois moins que ses collègues et que les PC, de par sa petite taille.
Du côté du consommateur, de nombreuses bonnes pratiques faciles peuvent être mises en place pour réduire la consommation énergétique de nos équipements vidéoludiques, comme par exemple débrancher PC et consoles la nuit. Ce sera l’occasion pour un sous-article dans les prochains jours, restez à l’écoute !
D’autre part, les jeux représentent aussi une industrie culturelle colossale et non plus une sous-culture, comme certains pourraient le penser. Pour preuve, le secteur vidéoludique a atteint 3,46 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France en 2016, ce qui en ferait la deuxième industrie culturelle après le livre.
« Le secteur vidéoludique a réalisé 3,46 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France, devenant ainsi la deuxième industrie culturelle du pays après le livre. »
C’est donc un support et une opportunité exceptionnelle (d’autant plus qu’elle touche un large public, parfois très jeune) de sensibiliser aux enjeux environnementaux (et de planter notre carotte dans tous les secteurs possibles). L’environnement fait depuis longtemps partie des jeux, mais le rapport du joueur à celui-ci peut y être très varié, comme détaillé dans cette vidéo du vidéaste Popscope.

On prend de la hauteur

Après avoir traité ce sujet en long et en large, prenons un peu de hauteur.
Cela nous ramène à la question fatidique du divertissement et des loisirs : que faire quand on a du temps libre ? Si les jeux vidéo sont une réponse, ils ne sont pas l’unique réponse, même si la facilité les transforme parfois en pratique “par défaut”.
Une idée serait donc de dédier des moments privilégiés aux jeux vidéo pour se divertir et se détendre et d’essayer de limiter ceux où l’on y joue “parce qu’on a rien d’autre à faire” pour se consacrer à d’autres loisirs. Et ce, d’autant plus que les beaux jours reviennent !
Loin de nous l’idée de les bannir de notre quotidien. Leurs effets positifs sont aujourd’hui reconnus par plusieurs études, notamment sur notre attention, notre réactivité, notre capacité à analyser une situation rapidement et à réfléchir sous contrainte. Beaucoup se souviendront aussi avec nostalgie de la persévérance nécessaire pour attraper tous les Pokémon !
Les jeux et les références à leurs univers sont omniprésents dans notre culture. Ce sont des activités faciles, variées, qui permettent de créer des communautés passionnées. Il serait bien dommage de les abandonner sous couvert de convictions écologiques tant il y a d’autres chantiers à explorer pour réduire son impact sur l’environnement.
Finalement, une approche pour une pratique du jeu agréable et écologique serait de privilégier la qualité à la quantité, que ce soit pour le matériel, le titre des jeux ou la pratique quotidienne.

Les AstucesCarotte pour jouer durable

  • Parcourir le marché de l’occasion et du reconditionné avant d’acheter du neuf
  • Suivre les conseils de l’équipe Greening the Beast (anglais) pour des jeux vidéo performants et peu dépensiers
  • Réfléchir à sa pratique du jeu vidéo ou à celles de ses proches
Nos réflexions sont volontairement non tranchées, nous laissons le lecteur se faire son propre avis. N’hésitez pas à partager votre opinion avec nous par mail à hello@lundicarotte.fr.
Nous serons présents au festival LUPA de Jussieu ce samedi 20 avril de 14 h à 18 h pour animer un stand sur le thème Qui veut gagner des carrot-cakes ? .
N’hésitez pas à passer nous faire un petit coucou au Village des associations, vous nous trouverez avec Greenpeace, Zero Waste France et Générations Cobayes, rien que ça !
Rédactrices : Servane Courtaux et Thaïs Brunel
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