Cette semaine, LundiCarotte se lance dans le décryptage de l’argent et des banques éthiques. Le compte en banque n’est peut-être pas le premier produit auquel on pense quand on parle de consommation, mais c’est pourtant bien un service que nous payons et les enjeux sont importants. Autant dire qu’on a eu du pain sur la planche à billets.

L'argent en vadrouille

Le 9 avril 2018
Cette semaine, LundiCarotte se lance dans le décryptage de l’argent et des banques éthiques. Le compte en banque n’est peut-être pas le premier produit auquel on pense quand on parle de consommation, mais c’est pourtant bien un service que nous payons et les enjeux sont importants. Autant dire qu’on a eu du pain sur la planche à billets.
Vignette de l'article L'argent en vadrouille
Aujourd’hui, nous avons tous un compte en banque, tout du moins, on vous le souhaite. Lorsque nous vérifions notre solde, à moins que ce ne soit pour nous offrir des vacances ou un set de draps en coton bio équitable véritable, notre argent semble dormir tranquillement. En réalité, il lui arrive bien des aventures, sans qu'on y soit pour rien ! La raison ? Tout le monde n'a pas besoin de tout son argent en même temps. Les banques l’utilisent donc pour financer tout ce qui peut être rémunérateur : la construction de bâtiments, la conception de nouveaux médicaments ou la création d’entreprises, par exemple. Mais aussi la fabrication d’armes, la plantation de tabac et l’extraction de réserves fossiles…
Le lien entre nos comptes courants et les prêts des banques n'est pas si évident. Pour les détails techniques, suivre ce lien. Vous y trouverez aussi le CalculCarotte de la semaine !

Concrètement, elles investissent combien et dans quoi ?

Commençons par le sujet le plus documenté : les investissements qui encouragent les énergies fossiles et le changement climatique. Les 25 plus grosses banques mondiales y ont consacré 847 milliards d’euros entre 2009 et 2014. Le charbon, la ressource fossile qui produit le plus de gaz à effet de serre, est par exemple prisé des banques françaises, quatrièmes plus gros investisseurs mondiaux dans ce secteur.
La bonne nouvelle, c’est que le secteur bancaire se détourne lentement du fossile. En partie sous une pression activiste et populaire, comme celle de ces 80 économistes de renommée mondiale qui demandent l’arrêt du financement du secteur, mais c’est aussi dû à l’essor économique des énergies renouvelables. En France, la BNP, le Crédit Agricole, la Société Générale et le groupe BPCE (Banque Populaire Caisse d’Épargne - Natixis) se sont engagés en 2015 à ne plus financer de nouveaux projets de mine de charbon. Il y a quelques mois, la BNP a même annoncé une réduction drastique de son soutien à certaines énergies fossiles très polluantes (sables bitumineux, gaz de schiste…), s’attirant les rares félicitations des Amis de la Terre. Le monde bouge, comme dirait le CIC.
Malheureusement, malgré ces belles initiatives, les banques restent “des facteurs d’aggravation de la crise climatique” : à ce jour, leurs investissements dans le fossile sont quatre fois plus importants que dans les énergies propres.
Outre leur soutien au charbon, les banques salissent aussi leur réputation en étant peu regardantes sur l’éthique des projets qu'elles financent. On peut citer le Crédit Agricole, qui a prêté plus de 7 milliards d’euros à des fabricants d’armes nucléaires, ou la BNP, qui paie indirectement le travail des enfants à travers la marque d’électronique Samsung. Certains projets menacent des droits humains essentiels. C'est le cas du Dakota Pipeline, financé en partie par la BNP, le Crédit Agricole, la Société Générale et le groupe BPCE. Ce projet d’oléoduc américain est hautement controversé, car il passe à travers les terres sacrées de tribus Sioux et met en péril leur réserve d’eau potable sans qu’ils aient été consultés.

Et les financements sont-ils le seul problème ? J’ai entendu dire qu’il y avait d’autres soucis…

Le souci des financements néfastes est accentué par le fait qu’il est difficile de savoir, en tant que client, ce que notre argent finance et ce, en raison du manque de transparence des banques françaises. À l’exception de la Nef, pas une seule ne publie la liste des projets qu’elle soutient.
Cette opacité leur permet aussi d’ouvrir des filiales dans des pays où les impôts sont faibles, voire nuls, les paradis fiscaux, pour y déclarer leurs bénéfices. Pas plus tard que l'an dernier, l'ONG Oxfam publiait un rapport retentissant sur le sujet. Pour les vingt plus grandes banques européennes - dont BNP Paribas, le Crédit Agricole, le groupe BPCE et le Crédit Mutuel - on parle d'un euro sur quatre déclaré dans un paradis fiscal, alors que ces territoires n’abritent que 1 % de la population mondiale. Un exemple frappant : 25 % des filiales européennes implantées aux États-Unis sont enregistrés à une même adresse située dans l’état paradisiaque du Delaware. Le bâtiment en question serait l’adresse juridique de plus de 285 000 entreprises !
D’autres critères peuvent entrer en compte pour mesurer l’éthique des banques : les bonus parfois élevés de leurs patrons, les éventuelles corruptions, la fraude, les produits financiers relativement douteux ou même les aspects systémiques.

Il ne reste donc rien aux banques pour sauver la face ?

Heureusement, les initiatives positives existent : en 2003, un consortium de banques fonde les Principes de l’Équateur : l’ensemble des conditions éthiques qu’un projet devrait remplir pour pouvoir être financé. Ces principes sont appliqués volontairement : chaque banque choisit ou non de signer la charte et s’engage ensuite à la respecter. Les signataires français sont BNP Paribas, le Crédit Agricole, le groupe BPCE et la Société Générale.
Cette responsabilisation des banques est vue d'un bon œil, mais ces principes sont critiqués : ils seraient vagues, peu contraignants et l’absence de vérifications extérieures permettrait aux signataires de ne pas tenir leurs engagements.

Si je comprends bien, toutes les banques se valent dans leur médiocrité éthique ?

Pour être sûr que notre argent soit bien utilisé, mieux vaut le confier à la bonne banque. La première étape est d’évaluer l’impact de chacune, par exemple en consultant ce rapport de 2010. Les Amis de la Terre ont mis les mains dans le cambouis pour estimer la quantité d’équivalent CO2 générée par euro confié à la banque pendant 1 an :
  • La Nef : 200 g CO2/an/€
  • Le Crédit Coopératif : 425 g CO2/an/€
  • La Banque Postale : 480 g CO2/an/€
  • La Banque Populaire-Caisse d’Épargne (BPCE) : 540 g CO2/an/€
  • Le Crédit Mutuel-CIC : 620 g CO2/an/€
  • La Société Générale : 890 g CO2/an/€
  • BNP Paribas : 905 g CO2/an/€
  • Le Crédit Agricole : 1000 g CO2/an/€.
L'émission de CO2, n'est pas le seul critère pour choisir sa banque. Ce super classement permet de comparer les banques, thème par thème. Pour chaque point (environnement, droit du travail, fiscalité, transparence…), la banque se voit attribuer une note sur sa politique d'investissement. Pour faire simple, nous avons calculé la moyenne globale de chaque banque :
  • La Nef, qui fait un sans-faute : 10/10
  • Le Crédit Coopératif : 6,5/10
  • La Société Générale : 3,2/10
  • La Banque Postale : 3,2/10
  • BNP Paribas : 2,5/10
  • Le Crédit Agricole : 2,5/10
  • La Banque Populaire-Caisse d’Épargne (BPCE) : 2,5/10
  • Le Crédit Mutuel-CIC : 1,3/10

Concrètement, qu’est-ce que je peux faire ?

Vous aurez remarqué que les meilleurs élèves sont le Crédit Coopératif et la Nef. Ce sont les deux banques éthiques qui sortent du lot en France.
Le Crédit Coopératif a été créé pour financer l’économie sociale et solidaire ; il commandite donc en quasi-totalité les activités de ce domaine. Même si cette banque ne détaille pas les projets qu’elle finance, elle n’est pas impliquée dans de grands projets controversés comme les autres banques traditionnelles et n’a pas d’activité dans les paradis fiscaux. Elle propose l’ensemble des services bancaires classiques en plus d’une spécialité maison : le livret Agir, dont la moitié des intérêts sont reversés à un organisme éthique choisi par le client.
La Nef, quant à elle, n’est pas encore une « vraie » banque : elle propose uniquement des solutions d’épargne et souhaite proposer un compte courant à ses clients d'ici l'an prochain. Cependant, c’est la seule banque française totalement transparente sur les projets qu’elle finance ! Il ne lui manque plus que les services classiques d’une banque pour recevoir notre entière bénédiction, ce qui est prévu pour l’avenir. À surveiller de près, donc !
Pour déplacer progressivement vos revenus vers une banque plus propre, vous pouvez donc ouvrir un livret d’épargne à la Nef ou carrément changer de banque et opter pour une formule de compte au Crédit Coopératif, la banque la plus verte en ce qui concerne nos opérations de tous les jours. Un guide (PDF) existe sur le sujet.

Et investir ? On a le droit, quand on veut réduire ses émissions de CO2?

Pour investir depuis votre banque actuelle, vous pouvez demander à votre banquier des fonds labellisés TEEC vous garantissant de financer la transition écologique et énergétique. Ou encore, choisir un produit d’épargne solidaire dans cette liste (PDF).
Attention : l’appellation “ISR” (Investissement socialement responsable) créé une controverse.
L’idéal pour investir, c’est d’acheter directement des parts sociales des entreprises engagées pour l’écologie, les droits humains ou tout autre projet qui vous tient à cœur. Par exemple, l’association Terres de Liens achète des terres agricoles pour les jeunes agriculteurs bio ; Énergie Partagée crée des centrales d’énergie renouvelable près de chez vous.
Enfin, si vous aimez votre banque malgré ses éventuels défauts, vous pouvez l’encourager à investir de manière plus responsable en lui envoyant un petit mail.
Note de fin d’article : beaucoup d’informations de cet article sont issues du travail d’investigation fait par les Amis de la terre. Cette association de défense de l’homme et de l’environnement a été créée en 1969 et est aujourd’hui présente dans 76 pays.
On espère que vous appréciez la valeur de cet article et notre investissement sur le sujet. Nous profitons de l'occasion pour faire l'annonce officielle d'une augmentation des rangs de l'équipe LundiCarotte, par une recrue qui vaut son pesant d'or. Bienvenue à Paul Louyot !
Alix Dodu et Paul Louyot
Partager ce LundiCarotte
MAILTWFB