Jour de courrier, piochez deux cartes ! |
Le 12 avril 2021 |
Grand frère du jeu vidéo et cousin du jouet, remis à l’honneur par le confinement, LundiCarotte se penche enfin sur moi. Je suis, je suis... le jeu de société ! Que nos amis ludologues se rassurent, chez LundiCarotte, on adore les jeux ! Mais cela n’empêche pas de se poser la question de leur impact. |
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Retour à la case départ |
Les jeux de société seraient nés à plusieurs endroits dans le monde 3 000 ans av. J.-C. Les premiers avaient déjà recours à un plateau et à des pions avant l’invention plus tardive du dé. |
Si les jeux se développent dans l’Antiquité, ils connaissent en revanche une période néfaste en Occident au Moyen Âge. En effet, sauf exception, ils sont interdits, car considérés comme une perte de temps ! La Renaissance et l’époque moderne voient leur réapparition et leur développement, jusqu’au XXe siècle, qui leur donne leurs lettres de noblesse. |
C’est notamment au début du siècle que naît le concept du Monopoly, qui porte à la base un message anticapitaliste. Une nouvelle vague de jeux, plus modernes, émerge à la fin des années 1990 et rebat les cartes en privilégiant la stratégie plutôt que la chance. Aujourd’hui encore, de nouvelles tendances apparaissent, comme les jeux coopératifs, les jeux d’enquête, ou encore les jeux hybrides que l’on combine avec une application smartphone. |
En parallèle de cette diversification des jeux, on observe une augmentation flagrante du nombre de joueurs, on joue beaucoup plus, on achète des jeux plus chers… Les jeux ne sont plus une occupation d’enfants, mais un loisir légitime à tout âge. |
Le nombre de jeux publiés augmente chaque année : nous sommes passés de 800 nouveaux jeux par an dans le monde dans les années 1990 à plus de 3 500 jeux par an ces dernières années. Avec un prix compris généralement entre 10 et 40 € (voire 80 € pour les plus gros !) et 30 millions de boîtes vendues en 2021, le marché est juteux : 360 millions d’euros cette même année ! Il faut dire que le marché français est le premier marché européen. |
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1. Uno 2. La Bonne Paye 3. Monopoly 4. Scrabble 5. Blanc Manger Coco |
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Nos recherches ultra-sérieuses le prouvent : non, la case parc gratuit du Monopoly ne permet pas d’empocher l’argent des cartes Chance ! |
Question jaune : combien de CO2eq émet un jeu de société ? |
Pour cet article, nous nous sommes entretenus avec deux experts du sujet : Éric Labouze, auteur du jeu Genesia qui a aussi travaillé 25 ans dans une entreprise de recherche et conseil environnemental, ainsi que Florent Toscano, créateur des jeux Opla, membre de la commission Écologie de l’ Union des jeux de société et véritable figure de proue en matière de jeux écoresponsables. |
Selon eux, un jeu émet selon sa taille entre 0,7 kg et 4 kg de CO 2eq – pour comparaison, ce dernier chiffre est équivalent à l’impact carbone d’un steak de bœuf. Sauf qu’un jeu alimente des années de chouettes moments en famille ou entre amis ! |
« Un jeu émet selon sa taille entre 0,7 kg et 4 kg de CO2eq » |
Les trois quarts des émissions sont liées au processus de fabrication : choix des matériaux, transformation… comme souvent, on pointe le plastique du doigt, et comme souvent aussi, les alternatives coûtent cher et peinent à se faire accepter par les consommateurs. |
Une anecdote édifiante le démontre bien : nous sommes en mars 2010. Le célèbre jeu Les Colons de Catane devient Catan et troque au passage le bois contre du plastique pour ses figurines. La même année, une version de luxe entièrement en bois voit le jour, mais il faudra casser sa tirelire pour se l’offrir : elle est plus chère de moitié ! |
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Catan édition Deluxe en bois |
Des efforts sont possibles, on parle alors d’écoconception de jeu. On privilégiera les matières renouvelables (bois, papier, carton…), recyclées, labellisées ( PEFC, FSC...), les encres végétales, et on évitera le plastique, les rangements thermoformés, les solvants… certains vont même jusqu’à remplacer la cellophane de la boîte par de la fécule de pomme de terre, comme le jeu Supermaculture ! |
Certains éditeurs comme Bioviva ou Opla se démarquent particulièrement dans ce domaine, mais l’offre est assez limitée et il n’existe pas ( encore ?) de label spécifique. Cela concerne-t-il suffisamment de jeux pour en faire un vrai critère de choix ? Pas sûr, d’autant qu’on les achète surtout en fonction du plaisir et que l'écoconception ne permet pas toujours de produire des jeux complexes avec beaucoup de matériel. |
Il est dans le dragon vert |
Quand on sait que 6 jeux sur 10 viennent de Chine par cargo, on peut craindre l’impact des transports. Nous étions surpris d’apprendre qu’ils ne représentaient que 12 % à 16 % des impacts, même si ce chiffre est réducteur, car il ne prend pas en compte les autres impacts environnementaux : le transport maritime émet par exemple une grande quantité de SO2 (dioxyde de soufre), responsable d’environ 50 000 morts prématurées par an en Europe. |
« Les transports représentent 12 % à 16 % de l’impact d’un jeu de société » |
Un pourcentage faible, donc, mais c’est beaucoup si l’on considère qu’on peut le réduire d’un facteur 10 en produisant localement ! C’est par exemple le cas des jeux Opla. Cependant, tous les éditeurs ne le font pas : question de coûts, mais aussi de savoir-faire et de volume. |
À la Rédac', nous avons notre chouchou : Tac Tik, fabriqué artisanalement en France, au beau plateau en bois, très simple mais bien meilleur que beaucoup de jeux plus complexes. Le prix peut cependant en freiner plus d’un… on vous a déjà dit que les jeux durables coûtent cher ? Finalement, c’est peut-être ça, l’avenir du jeu : en acheter moins, mais de bonne qualité ! |
J’accuse le Colonel Moutarde, dans le potager, avec la brosse à dents en bambou |
Et si les jeux contribuaient à la sensibilisation environnementale ? Dans la jungle de ceux qui nous encouragent à construire toujours plus d’hôtels, de routes, de villes, à devenir toujours plus riches en consommant toutes les ressources et en extorquant si possible son voisin, certains jeux se démarquent en parlant d’écologie. |
Comprendre le développement durable ( Terrabilis), développer une forêt luxuriante ( Il était une forêt), découvrir la permaculture ( Supermaculture), travailler en équipe (ou pas !) pour résoudre la crise climatique ( CO2 : Second Chance)… le choix est varié, mais une question nous brûle les lèvres : permettent-ils vraiment de sensibiliser le grand public ? À la Rédac', on se questionne, faute d’avoir pu en tester, confinement oblige. Ce sera pour la future sortie à la ludothèque ! |
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Même le Mille Bornes passe au vert ! |
Faites vos jeux ! |
Puisque l’impact d’un jeu réside principalement dans sa fabrication, avant d’acheter, tout est bon pour vérifier qu’un jeu vous plaira ! Empruntez-le dans une ludothèque ou une médiathèque près de chez vous (il y a souvent de belles initiatives, même dans les petites villes), ou dans un bar à jeux. Ils poussent à une consommation moins dangereuse que celle de l’alcool ! Si le jeu vous plaît, vous pouvez en général l’acheter sur place. |
Vous pouvez souvent vous fier les yeux fermés aux récompenses Spiel des Jahres ou l’ As d’Or du festival international de jeux de Cannes (il n’y a pas que le cinéma qui a droit à son festival !). Toujours pas inspirés ? Lisez ce bon guide d’achat du Monde, regardez les critiques sur les sites spécialisés ( Philibert, Tric Trac) ou suivez nos recommandations Carotte ! Aurélie adore Catan et conseille 7 Wonders Duel à deux joueurs. Pour Palmyre, Codenames mérite ses récompenses et elle a été séduite par le concept du jeu… Concepts. |
Il est aussi possible de privilégier le jeu d’occasion, votre porte-monnaie vous remerciera ! |
- Dons (entourage, associations, salles d'attente...)
- Prêts entre particuliers : nous n'avons pas eu l'occasion de le tester, mais le site Coludik a l’air parfait pour prêter ses jeux à des inconnus ou en emprunter ; sinon, vous pouvez aussi vous en échanger entre amis !
- Vente et achat d'occasion : par exemple sur Okkazeo, site de petites annonces de jeux d’occasion, ou dans une boutique solidaire comme Rejoué
- Il vous manque une pièce ? Rendez-vous sur Refaites vos jeux pour la racheter !
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À l’inverse, vos jeux qui prennent la poussière feraient peut-être des heureux. Considérez l’option de les donner ou les vendre, sauf éventuellement si c’est un héritage familial ! Même si un jeu finit toujours par passer par la case poubelle (ne touchez pas 20 000 francs), autant ne pas l’y précipiter, prenez-en soin pour prolonger sa durée de vie. Faut-il pour cela acheter des protège cartes en plastique ? Le débat n’est pas tranché à la Rédac’ ! |
Encore mieux, inventez de nouvelles règles pour les jeux que vous avez chez vous ou imprimez un jeu en print’n’play, pour jouer sans plastique et sans transport ! Entre le site La Vie en jeux, l’association Do It Your Game ou l’éditeur Asmodée, le choix est vaste pour organiser votre prochaine soirée jeux. |
Des pratiques malheureusement peu rentables pour les auteurs, qui ne touchent déjà que 2 % environ de la vente de leurs jeux. Certains réfléchissent à un meilleur modèle économique pour eux. À quand une redevance comme la SACEM pour la musique ? |
Les astuces carottes pour les as du volant |
- N’acheter un jeu que si on est sûr de ne pas le remiser au placard après la première partie.
- Ouvrir son moteur de recherche préféré et chercher « ludothèque » et le nom de sa ville.
- « L’homme ne cesse pas de jouer quand il devient vieux, il devient vieux quand il cesse de jouer. » — G.B. Shaw, alors continuons à jouer !
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Palmyre et Aurélie, bénévoles chez LundiCarotte, étaient contentes de signer cet article sur un thème qui leur tient à cœur, d’autant plus que les jeux regorgent de bienfaits : jouer rapproche les gens tout en ralentissant le rythme, permet de développer sa mémoire, sa motricité, ses connaissances… et tout ça sans électricité ! |
On vous souhaite donc de bonnes soirées ludiques et on vous dit à la semaine prochaine ! |
Palmyre Baroth et Aurélie Valéry |