Interviews viticoles d'un sommelier et d'un vigneron |
Le 15 novembre 2021 |
La période des fêtes arrive bientôt et l’on entend déjà au loin le petit “cling” des verres qui s’entrechoquent. En France, ce que l’on retrouve le plus souvent dans nos verres, c’est le vin. Composante nationale par excellence, il en existe de toutes les couleurs, dans toutes les régions et pour tous les goûts. |
Aujourd’hui, nos rayons débordent de “milliers” de vins différents. Et nom d’une pipe, c’est à s’y perdre ! Chez LundiCarotte, on se demande comment consommer durablement et sainement face à toutes ces étiquettes. C’est pourquoi nous vous préparons un article sur l’ensemble du domaine viticole actuel, qui sortira la semaine prochaine. |
Habituellement, nos sources pour écrire les articles proviennent d’Internet. Cette fois-ci, nous avons décidé d’accompagner ces recherches d’interviews. Ainsi, en prémices de cet article, nous avons demandé leur opinion à deux professionnels de ce domaine. Mickaël Larrive, chef sommelier au restaurant Oka à Paris, et Gilles Lafouge, vigneron du domaine Lafouge en Bourgogne. Ils nous livrent chacun leur point de vue sur leur métier, les enjeux auxquels ils font face ainsi que leurs conseils aux consommateurs. |
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Ou bien, si vous préférez, nous en avons fait des résumés dans ce mail. Bonne lecture ! |
Attention ! L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. Nous reviendrons d’ailleurs sur ce sujet dans l’article sur le vin. |
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Le point de vue d’un sommelier |
Un métier de passion |
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Après avoir travaillé dans de grands établissements tels le Trianon Palace à Versailles, il officie actuellement au restaurant Oka, à Paris. |
« C’est une passion qui n’a pas de limite, le vin est un produit vivant qui évolue dans le temps » |
Son métier de sommelier consiste en grande partie à gérer la carte des vins, à approvisionner la cave, à entretenir des relations avec ses agents et vignerons ou encore à conseiller les clients à table afin de créer des accords mets & vins. Il apprécie beaucoup son métier, car les millésimes et les modes culinaires changent constamment avec le temps. Chaque année est différente. |
Viticulture et environnement |
Les changements qui ont marqué son esprit ces dernières années, outre le changement climatique, sont le retour à la biodynamie (agriculture qui considère la surface cultivée comme un écosystème appartenant à un tout) et la mode du vin nature. |
L’une de nos premières interrogations portait sur le sulfite : est-il indispensable à la fabrication du vin ? Il nous répond que le vin en contient naturellement, qu’un vin sans soufre n’existe pas, d’autant plus qu’il protège ce dernier de l'oxydation. Cependant, il précise que le limiter est une bonne chose. Ainsi, ne pas en ajouter ou bien y trouver des alternatives est un bon début. Voici la liste des alternatives en question : |
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« Respectons le produit et la nature en même temps et on aura tout gagné ! » |
Concernant les labels environnementaux du domaine viticole, Mickaël précise qu’il faut bien décortiquer les étiquettes lors de nos achats. Certes, les labels permettent d’aider les consommateurs dans leurs recherches, mais certains vignerons et domaines décident de ne pas en afficher alors qu’ils cultivent de manière durable. D’autres le précisent seulement au dos de la bouteille (comme les champagnes Drappier). Dans l'idéal, il faudrait donc faire nos recherches avant d’acheter le vin et bien se renseigner sur les vignobles eux-mêmes plutôt que sur la bouteille directement. |
Pour ce qui est de l’impact du changement climatique sur les vins, le sommelier y voit des points positifs et négatifs. Sans minimiser le fait que les vignerons français ont dû faire face à de gros problèmes climatiques cette année (mildiou, gel, fortes chaleurs…), certains de ces changements permettent d’éviter la chaptalisation (augmentation du degré d’alcool par ajout de sucre) et facilitent la production du vin, car le raisin arrive plus régulièrement à maturité. |
Comment choisir la bonne bouteille |
La certification Demeter est à ses yeux la plus “respectueuse en termes d’idéologie”. Cependant, ici encore, il nous met en garde concernant les vins bios. Bien que meilleurs pour la santé, certains produits néfastes restent autorisés. Le facteur marketing y est pour beaucoup, ces vins bios sont plus chers, mais parfois, les consommateurs les achètent pour afficher leurs convictions en société sans pour autant se renseigner sur le produit. Ce manque d’intérêt du consommateur, mais aussi de transparence des produits est le plus gros problème, selon lui. En effet, bien qu’à ses yeux, les certifications comme HVE sont louables, ce suraffichage de label perd les consommateurs qui ne savent plus ce qu’ils doivent choisir. |
Ainsi, ses critères de choix ne le cantonnent à rien (vin conventionnel ou bien bio), car il estime que ses goûts et ses convictions ne sont pas forcément ceux de ses clients. En revanche, le sommelier est sensible à la question environnementale et nous confie que la majeure partie de sa carte de vins est constituée de “vins sains". |
« Le monde du vin est déjà assez compliqué comme cela, n’ajoutons pas d’étiquettes aux étiquettes. » |
Conseils d’un sommelier |
Ses conseils pour consommer du vin durable et sain sont : |
- Privilégier les circuits courts
- Privilégier la biodynamie (car ce type de viticulture inclut tout l’environnement et son fonctionnement)
- Consommer du magnum, car il y a une plus grande quantité de vin dedans et que cela évite de casser deux bouteilles
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Pour finir, nous lui avons demandé ce qu’il faudrait améliorer, selon lui, pour obtenir plus de vins sains et durables, ce à quoi il nous a répondu que les consommateurs devaient mettre en place des démarches de recherche et avoir la volonté de consommer sain, car cela pousserait les producteurs à produire dans ce sens. |
Le point de vue d’un vigneron |
Découverte du viticulteur |
Gilles Lafouge est viticulteur dans son exploitation familiale, installée à Auxey-Duresses, en Bourgogne, depuis cinq générations. |
Son métier est très complet, car il a décidé d’aller jusqu’au bout de la chaîne, c’est-à-dire de la culture des vignes à la commercialisation en passant par la vinification. Il considère avoir trois métiers : celui de la terre, celui de vinificateur et celui de gestionnaire/chef d’entreprise. |
Le type de culture mis en place au domaine est la viticulture raisonnée avancée, similaire à la viticulture bio, à la différence qu’il ne revendique pas ce label sur les bouteilles. Il nous explique faire ce choix pour garder des libertés concernant les traitements aux produits de synthèse lorsque les risques de maladie sont trop importants. |
Deux changements importants ces dernières années ont beaucoup marqué son esprit. Premièrement, l'évolution de notre société fait qu’il passe beaucoup plus de temps au bureau, pour son plus grand désarroi. Deuxièmement, et plus grave, le changement climatique, qu’il ressent fortement depuis sept ans (sortie des bourgeons trop tôt, étés trop chauds, dépérissement des pieds…). |
Réglementation et labels |
Le vigneron trouve la réglementation pour la production de vin en AOC indispensable, car elle donne un cadre sans lequel ce serait l’anarchie (les pratiques d’irrigation et ajout de copeaux de bois sont interdits en Bourgogne, par exemple) et qu’elle assure la bonne qualité des vins. Selon lui, la réglementation des pesticides est du bon sens qui évite de nombreux abus. |
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Le viticulteur précise que c’est un cap difficile à tenir et trouve scandaleux de faire croire au consommateur qu’il est possible de faire du vin chaque année sans traitements phytosanitaires (même pour le vin bio). Les viticulteurs sont tributaires des changements climatiques, des maladies et de la demande des consommateurs, mais ils sont nombreux à respecter leur terroir et à choyer leurs vignes en n'appliquant que les traitements fongicides nécessaires afin de faire les vins les plus naturels possibles, nous explique-t-il. |
Du côté de sa cave, Gilles nous assure ne pas utiliser de levures industrielles ni d’adjuvants œnologiques. Seulement du soufre, afin d’éviter les déviations bactériennes. |
« Nous sommes des artisans et nous sommes certainement "bios" sans le revendiquer. » |
Concernant les labels environnementaux ou pratiques, la biodynamie est à ses yeux une agriculture fiable, mais difficile à gérer en cas de maladies. Par ailleurs, lorsque nous lui demandons son avis sur le vin bio, il trouve lui aussi qu’il y a un gros facteur commercial auquel il faut faire attention. En revanche, contrairement au sommelier, selon lui, la certification HVE n'apporte pas de plus au niveau environnemental (amendements organiques et produits de synthèses autorisés…) et donc rien de nouveau par rapport à la lutte raisonnée basique. |
Nous lui avons ensuite demandé si le sulfite était indispensable dans la fabrication du vin. Il nous a répondu que comme le vin était une création de l’homme, autant accompagner ce processus le plus simplement et le plus proprement possible. Il considère le SO2 (dioxyde de soufre, antioxydant) comme indispensable, mais pense que les alternatives telles le CO 2 sont pires que d’ajouter du soufre. D’un autre côté, le vin “sans soufre” peut marcher de temps en temps, mais cela donne un très mauvais goût au vin et une odeur de - nous le citons, car nous adorons l’image - “sueur de cheval et [...] d’encre” s’il est atteint par une bactérie. |
Face au changement climatique |
Le vigneron nous dit ressentir beaucoup le changement climatique dans son métier. Les hivers sont trop doux, entraînant un mauvais repos végétatif, un débourrement trop précoce et des vignes très sensibles. Les étés sont soit trop chauds (2020) soit trop humides (2021), entraînant le dépérissement de pieds de vignes. |
Il attend alors les recherches dans la profession afin d’y faire face à l’avenir, telles que des porte-greffes résistant à la sécheresse. |
Ses conseils aux consommateurs |
Concernant le prix des bouteilles, le viticulteur nous explique qu’il est libre et qu’en Bourgogne, il est régi par une hiérarchie des appellations et par la renommée. Nous payons la rareté des produits, car la Bourgogne est une petite zone de production. Nous lui avons demandé ce qui lui coûtait le plus cher, eh bien figurez-vous que ce ne sont pas les produits phytosanitaires, mais la main-d'œuvre. Indispensable dans le vignoble, où beaucoup de travail se fait manuellement. |
Enfin, ses conseils aux consommateurs rejoignent ceux de Mickaël : |
- Aller voir les vignerons ou bien les cavistes (car ils connaissent très bien les viticulteurs chez qui ils se fournissent)
- Goûter le vin pour ce qu’il est et non pour son étiquette
- Acheter du vin français en circuit court et dont l’on a la garantie d'une réglementation très pointue sur les produits phytosanitaires, qui protège le consommateur et sa santé
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Merci beaucoup à Mickaël ( @les_jolies_canettes) et à Gilles d’avoir répondu à nos questions et d’avoir partagé leur point de vue de manière honnête et transparente. Ces interviews vont nous aider à écrire notre article sur le domaine viticole qui sortira bientôt ! |
Avant de vous dire à la semaine prochaine, nous avons une seule petite question : suite à l’article sur la compensation carbone que nous vous avons proposé de lire la semaine dernière, prêtez-vous attention à votre empreinte carbone en la calculant sur des sites Internet ou applications ? Si oui, cliquez ici, si non, cliquez là. Cela nous aidera à mesurer l’impact de nos articles sur votre quotidien. |
Dernière petite question : trouvez-vous ce nouveau format “interviews” intéressant ? Si oui, cliquez ici, si non, cliquez là. N’hésitez pas à nous dire ce que vous en pensez par mail à hello@lundicarotte.fr ! |
Ketsia Guichard & Laura Larrive |