Après vous avoir parlé récemment d’Internet et du jeu vidéo, LundiCarotte survole en ce lundi le monde du cloud gaming ! Il est souvent décrit comme le futur du jeu vidéo. Pourquoi le présente-t-on comme tel ? Petite étude de ce nouveau phénomène.

Sur un nuage magique

Le 25 mai 2020
Après vous avoir parlé récemment d’Internet et du jeu vidéo, LundiCarotte survole en ce lundi le monde du cloud gaming ! Il est souvent décrit comme le futur du jeu vidéo. Pourquoi le présente-t-on comme tel ? Petite étude de ce nouveau phénomène.
Vignette de l'article Sur un nuage magique

Alors avant tout, quèsaco ?

Le cloud gaming, en français “jeu à la demande” ou encore “jeu en nuage”, permet de jouer aux jeux vidéo à distance sans les posséder sur sa propre machine, en utilisant des services tels que Google Stadia ou Shadow. Le joueur paie pour cela un abonnement mensuel ou annuel.
Il est important de ne pas confondre les différents termes. Le “cloud” désigne l'accès à des services informatiques via Internet, comprenant le stockage de données et leur exploitation sur des serveurs informatiques à distance, comme sur Google Drive ou Microsoft One Drive. Le “jeu en ligne”, lui, a pour but de jouer avec un partenaire ou un inconnu pouvant se situer à des milliers de kilomètres, et n’est donc pas la même chose que le cloud gaming. Pour pouvoir y accéder à distance, les "jeux à la demande" fonctionnent par le biais de serveurs situés dans des data centers, qui les exécutent en se chargeant de fournir la puissance nécessaire à la place de votre propre console ou ordinateur. On peut donc mettre son jeu en pause sur le PC et continuer sur sa console de salon. Les serveurs renvoient les images directement sur l’écran, en “streaming” (comme Youtube).

Retour vers le futur

Maintenant que les présentations sont faites, embarquez avec nous dans la DeLorean pour une petite revue historique de cette nouvelle tendance, c’est parti ! Le concept de cloud gaming est né dans les années 2000 lors d’une présentation au salon du jeu vidéo l’E3. C’est aussi en 2000 que la start-up G-Cluster arrive grâce au Wi-Fi à lancer pour la première fois un jeu sans même l’avoir installé - une vraie révolution à l’époque. En 2010, la solution OnLive Game system est commercialisée et rendue accessible sur smartphone, PC, tablette et télés connectées. En 2015, trois grandes entreprises se lancent dans le cloud gaming : Nvidia, Sony et Blade.

Quel avantage cela a-t-il ?

Du point de vue du consommateur, en l’occurrence du joueur, cette pratique peut être intéressante financièrement. Sachant que le prix moyen d’un jeu vidéo “en boîte” est de 45 euros (PDF, 2018) et que l’abonnement au cloud gaming revient en moyenne à 10 euros par mois, quelqu’un qui achète au moins trois gros nouveaux jeux par an y trouvera son profit. La nouvelle pratique permet surtout de tester une pléthore de jeux sans avoir à les acheter là où, avant, il fallait réfléchir avant chaque nouvel achat.
« Le cloud gaming permet de tester les jeux vidéo sans avoir à les acheter là où, avant, il fallait réfléchir avant chaque nouvel achat. »
Autre avantage pour le porte-monnaie : il n'est plus nécessaire de s’acheter les dernières consoles ou le dernier équipement informatique (carte graphique ou carte mère), étant donné que le programme tourne sur une 'console' à distance. Pour cette raison aussi, en termes d'expérience, le cloud gaming promet de faire fonctionner les nouveautés sans ralentissement, surchauffe ou autres désagréments. Une connexion Internet haut débit pouvant supporter la bande passante de l’hébergeur, rapide et stable comme la fibre, est cependant nécessaire. Sans câblage de qualité, les problèmes de latence agaceront le joueur averti, du fait des modes de jeux multijoueurs et compétitifs qui réclament une haute réactivité. La qualité de l’image pâtit d’une faible connectivité, car le serveur compresse les images avant de les envoyer au joueur. Situés dans les data centers, il faut beaucoup de ces serveurs pour faire fonctionner correctement les “jeux en nuage”.
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Voici à quoi ressemblent les serveurs. (Image de cutewallpaper)

Quel est le rôle des data centers ?

Beaucoup de données de cette section concernant le numérique et son impact environnemental s'appuient sur une étude de The Shift Project de 2018. Nous nous sommes aussi appuyés sur le très bon rapport de GreenIT de 2019, sur le même sujet.
Pour pouvoir profiter du cloud gaming, votre appareil se connecte donc à des serveurs qui sont dans des data centers. Ces derniers ne sont pas des nuages magiques que nous voyons dans le ciel. Un data center, ou “centre de données” en français, est un bâtiment composé d’un réseau d’ordinateurs et de disques durs. Il peut être utilisé pour organiser, traiter, et stocker de grandes quantités de données. Ces bâtiments, remplis de machines qui échangent et stockent l’information digitale, ne sont pas sans impact écologique. Les centres de donnés représentent 17 % (p. 13) de la consommation énergétique du numérique.
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Décrypter l’énergie - La consommation électrique liée au numérique en France en 2015, data centers inclus.
Les data centers se doivent de fonctionner de manière optimale toute la journée et sont donc équipés de systèmes de refroidissement pour éviter la surchauffe les serveurs. Cette climatisation présente de 40 à 60 % de la consommation (ENG) énergétique des data centers. De plus, les fluides réfrigérants sont coûteux et extrêmement émetteurs de gaz à effet de serre. On les retrouve dans les équipements de type congélateurs et climatisations et ils doivent être broyés sous atmosphère contrôlée en fin de vie pour ne pas polluer.
On peut alors se demander pourquoi les data centers pour le cloud gaming ne sont pas localisés dans des pays froids tels que la Finlande ou la Norvège, ou même en Sibérie. C’est théoriquement une bonne idée, car le froid naturel de ces zones permettrait de refroidir ces machines qui chauffent beaucoup. Cependant, une grande distance entre les data centers et le joueur crée des problèmes de latence, alors que cette pratique du jeu vidéo se veut justement être aussi fluide que si l’on était sur sa console ou sur son PC.
Heureusement, les data centers actuels sont de plus en plus optimisés pour réduire leur impact environnemental, grâce à des outils comme l’indicateur d'efficacité énergétique et des systèmes de refroidissement plus innovants, utilisant l’air froid extérieur (“free cooling”) ou la submersion de serveurs dans de l’huile minérale (“oil cooling").

Si je comprends bien, le cloud gaming n’est pas le futur écologique du jeu vidéo ?

Difficile à dire ! Son utilisation évite d’acquérir de nouveaux matériels pour jouer aux jeux les plus récents, ce qui est potentiellement un gros avantage écologique.
On en parlait déjà récemment dans notre article sur les emails, le principal problème environnemental de l’électronique se cache dans l’outil, par exemple celui que vous avez en main pour lire notre infolettre. Pour fabriquer smartphones, tablettes, consoles de jeux vidéo et ordinateurs, il faut extraire beaucoup de métaux différents, assembler les composants à la chaîne et les acheminer aux quatre coins du globe. L’extraction minière, notamment, peut être très polluante. Pour un smartphone, par exemple, il faut miner 60 kg de matière afin d’obtenir les plus de 40 métaux nécessaires à sa composition. Nos appareils contiennent notamment de l’or et de l’argent, mais aussi des terres rares comme le gallium, le néodyme, l’indium… Pour les extraire de leur roche, on utilise souvent des acides agressifs et les composantes radioactives se trouvant naturellement dans de nombreuses terres rares se retrouvent concentrées dans les quelque 200 mètres cubes d’eau nécessaires au raffinage d’une tonne de minerai. Selon GreenIT, la fabrication des appareils représente, de loin, la plus grosse part de l’empreinte environnementale du numérique.
De plus, les mineurs, surtout en Chine et au Congo, connaissent parfois des conditions de travail très difficiles : mines qui s’écroulent, travail des enfants et conflits armés pour le contrôle des mines de "minerais de sang".
Bref, éviter l’acquisition de nouveaux appareils est une bonne chose. Cependant, ce qui inquiète surtout The Shift Project, c’est l’effet rebond des nouvelles technologies : en rendant plus efficace et surtout plus facile d’usage les jeux vidéo, le gain écologique du cloud gaming pourrait vite être dépassé par une augmentation du nombre de joueurs dans le monde, qui en compte à l’heure actuelle 1,23 milliard.
« Avantage écologique potentiel du jeu vidéo à distance : la fabrication des appareils des utilisateurs représente, de loin, la plus grosse part de l’empreinte environnementale du numérique. Cependant, c’est sans compter la possibilité d’une forte augmentation du nombre de joueurs. »
The Shift Project prévoyait déjà que le jeu vidéo sous ses différentes formes passerait de 1 % à 4 % du trafic Internet en 2021 et, de manière générale, projetait que la consommation énergétique du numérique mondial, toutes utilisations confondues, augmenterait d’environ 10 % entre 2015 et aujourd’hui. Sans parler des émissions de gaz à effet de serre accrues, le cloud gaming pourrait in fine augmenter l’utilisation de l’électronique et pousser à plus d'utilisation de matériel, pour les serveurs comme pour les appareils d’utilisateurs. Un aspect non négligeable quand l’on sait qu’Olivier Vidal, chercheur au CNRS, prédit que l’humanité devra d’ici à 2050 extraire plus de métal qu’elle ne l’a fait depuis son origine pour pouvoir subvenir aux besoins technologiques.
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GreenIT - Les data centers (ici “Centres informatiques”) ont un impact environnemental moindre que les appareils des utilisateurs, dû au nombre beaucoup plus important de ceux-ci. (GES est l’acronyme de gaz à effet de serre.)

Game au vert

Alors, comment agir à notre échelle pour diminuer l’impact environnemental du cloud gaming ? Nous savons que pour certains passionnés de jeu vidéo, il est difficile de freiner sa pratique. Heureusement, il y a quelques pistes pour jouer un peu plus “vert”.
Premièrement, il est bon de savoir que la qualité de l’image a un gros impact sur les émissions de gaz à effet de serre. Au lieu de faire tourner le dernier jeu d’aventure en haute qualité (résolution de 1 080 pixels), voire en ultra haute définition (en "4K"), il est judicieux, du point de vue du climat, de le faire tourner en qualité d’image plus faible (720 pixels). Les arbres “in-game” seront moins beaux, mais ceux du parc du coin se porteront finalement probablement mieux. Ceci rejoint le conseil important suivant : mieux vaut privilégier un écran de taille modeste. C’est un excellent moyen de réduire l’impact néfaste sur l'environnement de son matériel, selon Raphaël Guastavi, le chef de service produit et efficacité auprès de l’ADEME. Si vous avez le choix entre un téléviseur et un vidéoprojecteur, optez pour la deuxième solution, car il consomme moins.
Comme le cloud gaming permet de jouer sur n’importe quelle plateforme, on peut aussi garder son bon vieux PC datant de plusieurs Noëls, épargnant à la planète la construction d’un nouvel appareil. À la rédaction, Mohamed a fait l’expérience de jouer au cloud gaming via la plateforme Stadia, avec la fibre optique et sur un vieil ordinateur considéré jusqu’alors comme plus très fonctionnel : cela a parfaitement fonctionné ! Aucun bug, aucune surchauffe, aucun ralentissement. Juste à signaler une qualité vidéo très légèrement moindre - et donc plus écolo.
De plus, il est recommandé de jouer en réseau domestique plutôt qu’en 4G, car l'infrastructure web dédiée au mobile consommerait au moins dix fois plus d'énergie que le Wi-fi. Un autre conseil : quand vous arrêtez de jouer pendant un moment, quittez l'application au lieu de la laisser tourner, car sinon, l’appareil reste en contact avec les serveurs, qui continueront de tourner et donc, de consommer de l’électricité pour rien.
On peut aussi profiter de la flexibilité multiplateforme de la pratique. Si l'on en croit le blog de Selectra, un ordinateur portable moyen a une puissance d’environ 100 watts, contre environ 190 watts pour un ordinateur fixe et 800 watts pour un ordinateur très puissant. Un ordinateur portable consomme donc environ 2 fois moins qu’un PC fixe de travail, et 8,5 fois moins qu’un "PC gamer". C’était le CalculCarotte de la semaine ! Il semblerait donc que cloud gamer sur un ordinateur portable consomme moins d’énergie, ce qui est logique quand on sait qu’une carte graphique avancée fait sauter le compteur.
Pour finir, le conseil le plus écologique en ce qui concerne les jeux vidéo est peut-être d’en consommer plus raisonnablement. Quels sont vos passe-temps favoris ? Voici ceux qui nous viennent à l’esprit : le sport, les livres (de recettes de pestos), les jeux de société, la musique.
Petit extra pour ceux qui aiment apprendre de nouvelles choses en jouant aux jeux vidéo : il existe ce qu’on appelle les serious games, ou “jeux sérieux” en français. On peut citer Écoville, dans lequel le joueur doit construire sa propre ville. L’ADEME l’a créé dans le but de sensibiliser la population à la consommation d'énergie et aux émissions carbone.

Les AstucesCarotte pour le gamer sur un nuage

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  • Jouer avec parcimonie pour éviter la surconsommation et pour diminuer sa contribution au changement climatique.
  • Jouer avec une qualité d’image plus faible (résolution plus basse).
  • Jouer sur un plus petit écran.
  • Ne pas laisser tourner le jeu pour rien.
  • De manière générale, prendre soin de ses appareils électroniques et les remplacer le moins possible, pour allonger leur durée de vie.
  • Les recycler quand ils ne sont plus réparables.
  • Varier les plaisirs, par exemple avec un bon jeu de société des familles.
Nous vous souhaitons une bonne semaine à cloud gamer avec modération. Bonnes parties à vous !
Mohamed Youssouf et Alix Dodu
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