Si Jean-Jacques Goldman n’est plus la personnalité préférée des Français, le chocolat, lui, est toujours leur aliment préféré : près de 4 français sur 5 en mangent chaque semaine ! Pour le meilleur ou pour le pire ? Pour le sucré ou l’amertume ? Bienvenue dans ce LundiCarotte gourmand, qui ne vous fera pas forcément arrêter le chocolat …

Pas de bras, pas de chocolat !

Le 5 juin 2023
Si Jean-Jacques Goldman n’est plus la personnalité préférée des Français, le chocolat, lui, est toujours leur aliment préféré : près de 4 français sur 5 en mangent chaque semaine ! Pour le meilleur ou pour le pire ? Pour le sucré ou l’amertume ? Bienvenue dans ce LundiCarotte gourmand, qui ne vous fera pas forcément arrêter le chocolat …
Vignette de l'article Pas de bras, pas de chocolat !

Du cacao au chocolat

Le cacao, qui sert à produire le chocolat, est cultivé depuis le deuxième millénaire av. JC en Amérique centrale. Mais le cacao tout seul, c’est assez différent du chocolat. A partir du XVIème siècle, avec la colonisation, l’Europe commence à s’intéresser au sujet. Au XIXème siècle, le processus industriel se stabilise, comprenant :
  • la torréfaction, c’est à dire la cuisson, le grillage de la fève de cacao
  • le broyage de la fève pour obtenir une pâte homogène
  • l’enrichissement en matière grasse, par séparation de la poudre de cacao et du beurre de cacao
  • l’ajout de sucre, et éventuellement de poudre de lait pour faire du ‘chocolat au lait’
Depuis lors, le processus s’est certes modernisé petit à petit, rendant le chocolat de plus en plus bon marché, mais plus grand chose n’a changé en matière de recette. De ce siècle de chocolatiers, quelques noms sont arrivés jusqu’à nous : Philippe Suchard, Casparus Van Houten, Jean-Antoine Menier, Rodolphe Lindt, ou encore Henri Nestlé.
Entre temps, la production de cacao a aussi évolué : désormais les trois quarts de la production mondiale de cacao se situent en Afrique de l’Ouest (majoritairement en Côte d’Ivoire et au Ghana), qui dispose de conditions climatiques, géographiques, et agronomiques propices à la culture du cacao. Le quart restant provient encore d’Amérique (Equateur, Brésil, et autres pays d’Amérique centrale), puis d’Indonésie.

Les deux épines dans le pied du cacao

Aujourd’hui, le monde du cacao & chocolat fait face à deux défis bien identifiés : le travail des enfants et la déforestation.
Le problème de la déforestation, c’est qu’une parcelle de forêt primaire étant très riche agronomiquement, la tentation d’y installer de la culture de cacao est importante. On estime que les rendements à l’hectare sur une parcelle fraîchement déforestée peuvent être jusqu'à trois fois supérieurs. La richesse de la terre s’estompe avec le temps, jusqu’à ce que le producteur aille installer sa culture par-dessus une nouvelle parcelle de forêt primaire : la déforestation gagne du terrain.
Depuis 2000, le cacao est responsable d’un tiers de la déforestation en Côte d’Ivoire, et un huitième au Ghana, soit un total d’environ 400 000 hectares de fôret ‘zone protégée’ (environ une demi-Corse deforestée). Cette perte est un vrai problème environnemental, notamment pour le climat et pour la biodiversité locale. C’est aussi un problème évident de pérennité pour la filière : si la forêt primaire est considérée comme une ressource consommable et en quelque sorte jetable, comment fera-t-on quand tout aura été déforesté ?
Le problème du travail des enfants, c’est encore autre chose. Dans les millions de familles qui vivent de la production de cacao (on estime que 8 millions d'Ivoiriens dépendent quasi-exclusivement du cacao), la pauvreté pousse les familles à faire travailler leurs enfants sur leur parcelle, plutôt que de les inscrire dans des programmes d’éducation. Cette pratique a une dimension culturelle mais pas que. En plus d’être une atteinte aux droits de l’Enfant, c’est un frein important au développement du pays et à la sortie de la pauvreté de ces populations.
Ces deux problèmes majeurs de la filière sont bien connus. Parmi diverses initiatives internationales, le Syndicat du Chocolat, qui rassemble les entreprises du secteur en France, a lancé en 2020 l’Initiative Française pour un Cacao Durable, “qui vise à améliorer durablement les revenus des familles de cacaoculteurs, à mettre fin à la déforestation et à la dégradation des forêts, et à mettre fin au travail forcé et au travail des enfants sous toutes ses formes”.

Questions autour du prix du cacao

Face à ces deux problèmes , le travail des enfants et la déforestation, il est établi que la situation est bloquée en grande partie par la pauvreté des populations de cacaoculteurs en Afrique de l’Ouest. D’où les recherches et questionnements pour chercher à augmenter les revenus des familles de cacaoculteurs.
Plusieurs solutions se présentent :
  • diminuer les coûts de production, mais la marge de manoeuvre est faible : ceux-là sont presque uniquement de la main d'œuvre (des ouvriers tout autant concernée par la pauvreté), plus quelques produits phytosanitaires pour protéger les récoltes.
  • augmenter les rendements à l’hectare. C’est le pari de certains modèles agricoles, mais c’est un choix controversé pour ses impacts sur l’environnement. Remarque : c'est ce calcul qui pousse aujourd’hui à la déforestation.
  • augmenter le prix ‘sortie du champ’ du cacao. C’est, nous pensons, l’axe de travail le plus pertinent.
Pour encourager des filières qui essayent de mieux rémunérer le cacao en sortie de champs, nous vous proposons trois repères :
1/ le commerce équitable
Le commerce équitable est une initiative qui cherche explicitement à valoriser le travail des producteurs mieux que ne le fait l’économie de marché (la fameuse loi de l’offre et la demande). En pratique, le commerce équitable propose (entre autres) aux producteurs une prime d’au moins 0.24$/kg ce qui correspond à une augmentation du prix de 15% environ. Les trois principaux labels de commerce équitable en France sont Max Havelaar (qu’on voit essentiellement utilisé par les marques distributeurs), Symbole Paysan Producteurs (avec lequel travaille la marque Ethiquable), et Fair For Life (partenaire de la marque Alter Eco).
Illustration
Les trois labels de commerce équitable pour le chocolat
2/ le chocolat 'bio'
Le chocolat bio, c’est à dire issu de l’agriculture biologique, c’est aussi une initiative positive pour financer un travail de durabilité pour le producteur. Quand du cacao est certifié ‘Agriculture biologique’, il se vend mieux, donnant accès à une prime d’environ 0.30$/kg (page 209).
3/ les chocolats ‘pure origine’
Un autre repère intéressant, qui témoigne d’un engagement de la marque auprès de ses fournisseurs de cacao, c’est le principe du chocolat ‘pure origine’, c’est à dire une tablette dont le cacao ne provient que d’un seul pays, en général mis en avant sur l’emballage. C’est le signe d’un engagement de la marque à nouer des contrats dans la durée, et donc à ne pas s’approvisionner ‘au plus offrant’ sur le marché international, ni faire jouer chaque mois la concurrence entre les pays producteurs de cacao pour avoir le cacao le moins cher possible. C’est aussi un gage de qualité gustative : le cacao est façonné par le terroir dans lequel il pousse, et du chocolat ‘pure origine’ valorise mieux ses arômes.
Coup de bol : ces trois repères ne sont pas exclusifs les uns des autres. Ce n’est pas très compliqué de trouver du chocolat équitable, bio, et ‘pure origine’. Cette association est un excellent gage d’une démarche de durabilité profonde ! Ce sont souvent des chocolats à haute teneur de cacao (>70%), avec un vrai goût de cacao. Mais cette association à un coût : en général, on se situe sur des tablettes de chocolat noir à 3€, soit 30€/kg, ce qui est deux fois voire trois fois plus cher que le chocolat noir ‘classique’.

Le prix du chocolat en France

Parlons-en du prix du chocolat en France ! Le lien entre le prix du kilo de cacao en Afrique de l’Ouest et celui de notre chocolat en France n’est pas automatique. Autrement dit, on peut acheter du chocolat très cher en France qui soit fabriqué avec du cacao acheté à bas prix, de même qu’on peut acheter pour pas si cher en France du chocolat fabriqué avec du cacao acheté au-dessus du prix du marché.
Entre le prix du cacao et le prix du chocolat, il y a beaucoup de différents coûts, dont notamment :
  • des coûts industriels : plus le chocolat est mis en forme originale, plus cela va coûter cher. Par exemple, une tablette de chocolat nature coûte en moyenne 9€/kg alors que les chocolats de Paques et de Noel, aux formes plus élaborées, coûtent en moyenne autour de 20€:kg.
  • des coûts publicitaires : quand vous achetez le chocolat d’une marque qui fait beaucoup de publicité, ayez à l’esprit que c’est vous qui financez cette publicité. On estime les dépenses marketing du secteur chocolat à 370 millions d’euros, soit 10% du prix final. C’est une des raisons pour lesquelles la tablette d’une marque ‘connue’ coûte en général 50% plus cher (page 83) que le produit ‘Marque distributeur’ équivalent.
  • des impôts dont la TVA de 20% sur les chocolats au lait (contre 5% sur le chocolat noir, qui est considéré historiquement comme un produit de première nécéssité).
  • les coûts du distributeur : il achète le produit tout fait à la marque, mais tout le service logistique pour l’amener jusqu’à nous en magasin compte pour en moyenne 30% du prix final.
Tous comptes faits, on considère qu'en moyenne, pour une tablette de chocolat noir classique, 20% du prix revient au pays producteur, et 80% revient à la partie européenne de la filière. Ces 80% ne sont pas de l'argent "perdu", car il irrigue l'économie européenne de multiples façons, mais le chiffre est à mettre en regard du fait que les deux principaux enjeux de durabilité de la filière, le travail des enfants et la déforestation, se passent dans les pays producteurs.

À la fin, quelle consommation de chocolat ?

Sur 6,4 kg par an par personne de chocolat auxquel on ajoute 5 kg par an de cacao "caché" (dans les biscuits, les glaces, les céréales), seulement 2,5 kg sont des tablettes, et au sein de celles-ci, un tiers seulement sont du chocolat noir. Ce qui nous amène à cette question : qu’aimons-nous dans le chocolat ?
Sa jolie couleur marron ? Les 50% de sucre qu’on y trouve en moyenne ? Ses belles formes de cloches et de lapins ? Ses emballages dorés ? Ou son goût cacao ?
Pour toutes les raisons sauf la dernière, on peut parler de “cacao-pretexte”, de “cacao-colorant”, ou encore de “cacao-marketing”. Pour des raisons mystérieuses, le chocolat a aujourd’hui une place à part dans nos cœurs, et nous sommes souvent attiré par une gourmandise au chocolat, alors même que le goût du cacao y est souvent peu perceptible, car noyé dans le sucre, le lait, et le biscuit.
C’est l’occasion pour nous de repenser notre consommation de chocolat. Compte tenu des problèmes de durabilité de la filière, et de ce qu'il vienne du bout du monde, quel sens y a-t-il à consommer du cacao sous toutes ces formes et sans même y retrouver le goût du cacao ? Est-ce qu’on n’a pas un peu trop vite le réflexe du chocolat, aliment plaisir par défaut ? Est-ce que le chocolat ne devrait pas redevenir un petit ‘luxe’, un peu rare, dont on apprécie l’amertume demi-carré par demi-carré ? Et est-ce qu’il n’y a pas plein d’alternatives pour des desserts gourmands (le miel, les marrons, les fruits, les noix …) ?

Nos astuces carottes en matière de chocolat

  • chercher les chocolats équitables, bio, et/ou ‘pure origine’. On les trouve souvent dans les rayons bios des supermarchés, ou dans les supermarchés bio.
  • pour faire des économies, regarder ce qu’il se passe du côté des marques distributeurs, qui ont des démarches intéressantes dans ces trois directions (équitables, bio, et/ou 'pure origine'.
  • préférer un peu de vrai chocolat, de qualité, qui assume le goût amer du cacao, plutôt que beaucoup de chocolat-colorant dilué dans du sucre lui-même dilué dans tous les desserts.
On espère que ce sujet ne vous a pas mis K.K.O. Toutes ces histoire d’alimentation, c’est avant tout et après tout une question d’équilibres. Nous vous laissons songer à votre rapport au chocolat, et si ça vous inspire des grandes pensées, partagez-les nous par email !
Amilcament,
Alix Dodu, Paul Louyot et Théodore Fechner
Partager ce LundiCarotte
MAILTWFB