Cette semaine, LundiCarotte finit son travail d’investigation sur la réputation du boutonneux dans la classe des énergies : l’électricité nucléaire. Jusqu’ici, il ne s’en sort pas trop mal : il a bien des soucis avec l'extraction et l’élimination de son combustible préféré (article 2), mais avec des conséquences sanitaires très limitées malgré son caractère explosif (article 1). Cette semaine, en conclusion, nous nous penchons sur son prix et sa supposée utilité face au changement climatique.

Euros, carbone et neutrons

Le 13 juillet 2020
Cette semaine, LundiCarotte finit son travail d’investigation sur la réputation du boutonneux dans la classe des énergies : l’électricité nucléaire. Jusqu’ici, il ne s’en sort pas trop mal : il a bien des soucis avec l'extraction et l’élimination de son combustible préféré (article 2), mais avec des conséquences sanitaires très limitées malgré son caractère explosif (article 1). Cette semaine, en conclusion, nous nous penchons sur son prix et sa supposée utilité face au changement climatique.
Vignette de l'article Euros, carbone et neutrons
Selon le réseau militant “Sortir du Nucléaire”, qui s’appuie sur un comparatif d’Eurostat, le prix moyen du kilowattheure pour le consommateur français est bien plus élevé que celui de ses voisins européens : nous serions classés quinzièmes. Comme notre pays a de loin la plus grosse proportion de nucléaire, cela ne fait pas une bonne publicité pour l’énergie nucléaire. D’un autre côté, la Société française des énergies nucléaires (SFEN), affirme que le nucléaire est sur le long terme “extrêmement rentable”. Alors qu’en est-il ?
Florence et Ronan, membres de LundiCarotte travaillant tous deux dans une centrale nucléaire, nous confient que le prix du nucléaire est pour eux un grand mystère. En effet, l’addition pour le consommateur, comme pour toute forme d’électricité, dépend entre autres du prix de l’énergie sur le marché et des subventions de l’État.
À la source, le coût du nucléaire dépend en tout cas peu de celui de l’uranium. Comme ce combustible est exceptionnellement énergétique, le coût de production de l’électricité nucléaire est réputé bas. Selon Jean-Marc Jancovici, en 2012, il était de seulement 20 euros par mégawattheure (MWh). Mille foyers toulousains consommant environ 7 millions de kWh par an, 1 MWh correspond à la consommation de trois foyers et cela ne devrait leur coûter que 20 euros. C’était le calculcarotte de la semaine !
« Le coût du nucléaire dépend peu de celui de l’uranium. »
Il faut cependant aussi compter, entre autres, les investissements pour la construction, l’entretien, la gestion des déchets et le démantèlement de la centrale. Comme une centrale électrique tourne pendant plusieurs dizaines d’années, le coût de ces investissements dépend de la croissance économique. En effet, dans une économie florissante, l’argent que l’on investit dans une centrale pourrait être plus rentable si on l’investissait ailleurs. Plus il y a de croissance, plus emprunter de l’argent pour le bloquer pour la construction d’une centrale revient “cher”.
« Le nucléaire est beaucoup moins cher que le pétrole et en termes de coûts, il équivaut aux autres formes d’électricité. »
Les coûts de construction et de démantèlement dépendent aussi de l’expérience industrielle du pays. Construire une centrale est un exercice précis de haute technologie et de nombreux bâtisseurs expérimentés sont à la retraite. Cela explique peut-être en partie les problèmes de soudure pendant la construction de la nouvelle centrale de Flamanville, qui coûte quelques milliards de plus que prévu. Ainsi, Yves Bréchet, haut-commissaire à l'énergie atomique de 2012 à 2018, s’inquiète du manque de vision sur la stratégie de l’énergie nucléaire sur le long terme en France.

Le nucléaire est-il beaucoup plus cher que les autres formes d'électricité ?

Oublions cependant un instant les potentiels surcoûts du démantèlement de la centrale de Fessenheim et autres soucis de budgétisation français. Le nucléaire, à y regarder de plus près, est beaucoup moins cher que le pétrole et son coût équivaut plus ou moins aux autres formes d’électricité. Dans ce rapport, la Commission européenne compare le coût “nivelé” des différentes centrales européennes. C’est le coût du kilowattheure produit par la centrale quand l’on tient compte du prix de production, des investissements et de la durée de vie de la centrale.
Voici le bilan pour l’année 2012 :
  • électricité nucléaire : environ 100 euros par mégawattheure
contre
  • électricité hydraulique : environ 40
  • électricité géothermique : environ 70
  • électricité au charbon : environ 75
  • éolien sur terre : environ 80
  • électricité au gaz : environ 100
  • éolien sur mer : environ 150
  • panneaux solaires : environ de 100 à 250
  • électricité aux biomasses (huile et gaz végétaux) : environ 125 (avec de gros écarts)
  • électricité au pétrole : plus de 250 euros
À noter que le coût de l’énergie solaire a fortement diminué depuis 2012. Il est intéressant de mentionner aussi que l’hydraulique et le géothermique sont des énergies économiques et connues depuis longtemps, donc déjà exploitées plus ou moins au maximum de leurs capacités.
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Le coût des différentes formes d’électricité en Union Européenne en 2012. La barre bleue va du minimum au maximum rapporté des différentes centrales, et la ligne rouge coupe cette barre en deux parties à nombre de centrales égal. On peut voir que notre petit nucléaire ne se mesure pas trop mal au coût de ses camarades.
Si on regarde bien le graphique ci-dessus, on voit que le nucléaire ne peut pas rivaliser économiquement avec l’électricité au charbon et qu’il ne serait pas économiquement intéressant sans les subventions du gouvernement.

Le charbon est-il vraiment moins cher que le nucléaire ?

Cependant, ce dont on ne parle pas dans ces graphiques, c’est le coût de ce qu’on appelle les “externalités” : les effets négatifs (ou positifs) de la production de l’électricité en dehors du but initial, qui ne sont pas calculés dans le prix.
On peut penser ici aux pertes de productions agricoles dues au changement climatique, aux maladies engendrées par la pollution, au manque à gagner futur dû à l’utilisation de ressources non-renouvelables…
Une part des externalités de l’électricité nucléaire est liée aux effets des accidents sur l’environnement : les accidents nucléaires contaminent la nature environnante, par exemple une partie de la mer aux alentours de Fukushima, même si le Japon a décontaminé la terre à grands coups de pelleteuse.
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Selon le bilan total de la Commission Européenne, cependant, les coûts externes du nucléaire sont un peu plus grands que ceux de l’éolien, mais bien moindre que ceux des énergies fossiles (charbon, gaz et pétrole).
Selon ce rapport, la France, malgré une population et une économie similaires à celles de l’Italie et du Royaume-Uni, a des externalités énergétiques beaucoup plus basses, grâce à la grosse part de nucléaire dans son .
Les plus importantes externalités négatives dans le domaine de l’énergie sont les coûts liés au changement climatique, ce qui explique que celles des énergies fossiles soient aussi élevées. Comme le soulève entre autres le mouvement “Altruisme efficace”, le nucléaire pourrait être plus compétitif si les externalités dues aux gaz à effet de serre étaient traduites en “prix carbone” à l’émission.
« Le nucléaire pourrait être plus compétitif si les externalités dues aux gaz à effet de serre étaient traduites en un “prix carbone” à l’émission. »
Ceci est bien sûr aussi vrai pour les autres énergies décarbonées, d’autant plus que le coût de l’éolien et du solaire est en chute depuis quelques années. En France, selon EDF, le coût brut de production de l’énergie nucléaire s’élève en 2019 à 33 € par mégawattheure. Ce coût est très compétitif, comparé aux énergies renouvelables, avec 60 € par mégawattheure, mais cet écart devrait diminuer, voire s’inverser.

Du coup on mise plein pot sur les énergies renouvelables ?

Au regard des coûts externes des énergies, on peut se demander si les énergies renouvelables, les petits chouchous, ne permettraient pas non seulement d’exclure de la classe les énergies fossiles, mais aussi leur camarade nucléaire.
Si certaines associations écologistes présentent le nucléaire comme un danger, d’autres préviennent de ne pas le jeter avec l’eau du bain. Elles le verraient au contraire comme un sauveur face à un danger plus grand : le réchauffement climatique Le GIEC (le Groupe d’experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), par exemple, ne semble pas prêt à exclure cette source d’énergie. Rappelons qu’il y a quelques urgences, le consensus scientifique étant que nous ne resterons probablement pas en dessous de 2°C de réchauffement climatique par rapport à l’aire préindustrielle et que cela pourrait entre autres rendre certaines vastes parties du globe inhabitables pour nous autres humains. Notre petit nucléaire est-il à la hauteur de ces enjeux ?
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La fumée qui s’échappe des tours d’une centrale nucléaire n’est que de la vapeur d’eau.
Il semble tout d’abord important de préciser que le panache de fumée qui s’échappe des centrales nucléaires n’est que de la vapeur d’eau. Selon le GIEC, les émissions humaines de vapeur d’eau n’ont qu’un impact très négligeable sur le changement climatique. Pas d’inquiétudes de ce côté-là, donc.
Quid alors des émissions de gaz à effet de serre par le nucléaire ? Elles seraient en fait comparables à la quantité émise par les énergies renouvelables. Au contraire des énergies fossiles, les émissions ne proviennent pas de la combustion, mais de processus annexes, comme la construction des installations.
« Le nucléaire émet à peu près autant de gaz à effet de serre que les énergies renouvelables. »
Pour avoir un ordre de grandeur à l’esprit, voilà les émissions de différentes sources d’énergie non-renouvelables selon l’ADEME en France (ces chiffres prennent en compte la phase amont et l’exploitation de l’énergie, mais excluent la phase aval, par exemple le démantèlement des infrastructures) :
  • Centrale à charbon : 1 058 g CO2 eq/kWh
  • Centrale fioul-vapeur : 730 g CO2eq/kWh
  • Centrale à gaz : 418 g CO2eq/kWh
  • Nucléaire : 6 g CO2eq/kWh
  • Photovoltaïque : 56 g CO2eq/kWh
  • Éolien en mer : 15,6 g CO2eq/kWh
  • Éolien terrestre : 14,1 g CO2eq/kWh
Il faut cependant garder à l’esprit le fait que ces chiffres ont tendance à diminuer avec l’avancée technologique dans le cas des énergies renouvelables.
Pour le moment, les émissions dues à l’électricité nucléaire sont négligeables en comparaison de celles des énergies fossiles, et n’ont pas à rougir devant les émissions des énergies renouvelables ! Le nucléaire n’est donc certainement pas dernier de la classe sur ce point-là.
C’est pour cette raison que dans la plupart des scénarios envisagés par le GIEC pour rester sous la barre des 1,5 degré, la part du nucléaire dans le mix énergétique augmente, en même temps que l’électrification de notre consommation d’énergie.
Selon ces scénarios, le fossile devrait donc laisser la place à une combinaison d’électricité nucléaire et de renouvelable, parfois avec des innovations technologiques qui ne sont pas encore au point. Seules les hypothèses qui intègrent une grande part de ces innovations (comme le stockage de dioxyde de carbone, qui n’en est qu’à sa phase expérimentale) permettent de baisser la part du nucléaire tout en respectant les objectifs de l’accord de Paris.
Négawatt, une association créée par des experts dans le domaine de l’énergie et de la durabilité, a également proposé un scénario pour atteindre la neutralité carbone en France d’ici à 2050. Ce scénario irait jusqu’à expulser notre élève nucléaire de la classe, avec ses camarades non-renouvelables. Petit point d’attention cependant : pour atteindre cet objectif, l’association préconise que la France diminue sa consommation d’énergie de moitié.
Les critiques de ce scénario arguent qu’une telle baisse de la consommation d’énergie est irréaliste, surtout avec une population française en croissance.
Ainsi, maintenir une part de nucléaire dans le mix énergétique à côté de sources d’énergie renouvelables permettrait de continuer à consommer de l’énergie tout en évitant la catastrophe climatique. Florence et Ronan vont dans ce sens. Florence mentionne un besoin de petites centrales, pour aider à combler l’approvisionnement en électricité solaire et éolienne quand le soleil et le vent ne sont pas au rendez-vous.

Il n’y a donc pas de miracle pour nous sortir de là ?

Avant de conclure, jetons un coup œil à la petite sœur de notre garnement : la fusion nucléaire. Elle est encore dans le berceau, mais elle semble avoir un avenir radieux devant elle. La fusion est tout le contraire de la fission : au lieu de diviser un atome lourd en deux, on fusionne deux atomes légers pour n’en faire qu’un. Ceci peut libérer une énergie bien plus importante. En somme, au lieu de diviser, on rassemble et ça rend plus fort !
En plus d’un potentiel énergétique très important, cette technologie est pleine de promesses : il n’y a ni déchets radioactifs, ni risque d’accident grave. Le grand défi est justement de garder la machinerie en fonctionnement, car il faut que la réaction soit confinée dans des conditions très précises pour être maintenue. (Notre expertise grandissante en confinement pourra peut-être nous aider sur ce plan ?) Bien que l’on soit loin d’y être arrivé, le projet de recherche “ITER” vise à construire un réacteur expérimental qui décuplera l’énergie fournie pour maintenir la réaction avec de l’énergie propre et sûre à profusion. Après ce test, la construction d’un autre réacteur expérimental (“Démo”) commencera en 2040. La centrale à fusion connectée au réseau électrique n’est donc probablement pas encore pour demain !

Les AstucesCarotte pour participer à la discussion enflammée sur le nucléaire :

  • Garder (toujours) la tête froide.
  • Oublier l’électricité au pétrole si l’on tient à son porte-monnaie.
  • Considérer les pour et contre du nucléaire, en ne l’oubliant probablement pas entièrement si l’on veut rester en dessous des deux degrés de réchauffement climatique.
  • La meilleure électricité est celle que l’on ne consomme pas ! Quelques pistes pour économiser son carbone : mettre un pull, acheter moins d’objets, prendre des douches courtes et bichonner son frigo.
  • Lire les premier et deuxième volets LundiCarotte sur le nucléaire.
Pour conclure, le nucléaire, au coin ou champion de sa classe ? Nous penchons à dire que, malgré ses défauts, il a sa place dans les diverses classes d’électricité. Il semble en tout cas que continuer à augmenter de manière déraisonnable notre consommation d’énergie n’est pas durable et n’est envisageable qu’en introduisant des technologies de captation du CO2 qui ne sont pas au point aujourd’hui. Chez LundiCarotte, on est d’accord pour dire que la meilleure énergie est celle qui n’est pas produite ! On est très curieux de savoir ce que vous pensez, vous, après toute cette lecture. N’hésitez pas à nous laisser un petit message à : hello@lundicarotte.fr !
Anna van der Lee, Raphaëlle Lacroix, Laura Sereni et Alix Dodu
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