Interview de Gilles Lafouge

Voici l’interview de Gilles Lafouge, vigneron au domaine, installé à Auxey-Duresses en Bourgogne. Il nous livre ici son point de vue sur les réglementations et labels qui existent dans ce domaine, nous dit de quelle manière il cultive et vinifie son vin, comment il fait face au changement climatique ou encore, donne ses conseils aux consommateurs.
Attention ! L'abus d'alcool est dangereux pour la santé.

Découverte du métier

En quoi consiste votre métier de vigneron ?
Le métier de vigneron ou de viticulteur consiste à planter et à cultiver la vigne afin de produire de beaux raisins de cuve qui donneront de beaux vins. Comme nous l’avons décidé (et nous avons la chance de pouvoir le faire), nous allons jusqu'au bout de la chaîne : jusqu'à la mise en bouteille et à la commercialisation sous notre nom. Mon métier est donc tout d’abord un métier de la terre, puis un métier de vinificateur, d’éleveur et d’embouteilleur de vin et enfin, un métier de gestionnaire et de chef d'entreprise.
Pouvez-vous nous présenter votre domaine en quelques mots ?
Notre exploitation familiale installée en Bourgogne depuis cinq générations est spécialisée dans la production des vins d'appellation "Auxey-Duresses" : 50 % en blanc et 50 % en rouge.
Quel type de culture pratiquez-vous dans votre vignoble actuellement ?
Nous sommes en viticulture raisonnée avancée, similaire à la culture en agrément bio, sauf que nous ne revendiquons pas ce label. Nous désirons rester libres et pouvoir incorporer au programme de traitement un produit de synthèse (qui n'est alors plus en agrément bio) si la pression des champignons oïdium et du mildiou est trop importante et risque de mettre en péril la récolte de l'année.
Quelle étape dans le processus vous plaît le plus ? Pourquoi ?
Difficile de répondre ! Travailler la vigne, la taille en particulier, est une étape fondamentale et intéressante. Sur le plan du vin en lui-même, la vinification des raisins rouges est passionnante.
Quels gros changements survenus dans le domaine viticole ces dernières années ont marqué votre esprit ?
Nous passons de plus en plus de temps au bureau, devant l'ordinateur, ce qui est de loin le moins passionnant du métier !
Plus grave est le changement climatique que nous ressentons vraiment depuis six à sept ans : hivers doux, sortie des bourgeons trop tôt et, de ce fait, ils sont très longtemps vulnérables aux gelées de printemps. Étés très chauds et très secs (excepté en 2021 !) qui malmènent toutes les espèces végétales (et la vigne n'est pas épargnée), dépérissement des pieds de vignes jeunes et âgées de façon importante et inquiétante.

Réglementation & labels

En tant que viticulteur, trouvez-vous les réglementations pour les vignobles handicapantes ou bien bénéfiques pour l’ensemble de la production ?
Les réglementations pour la production de vins en AOC (AOP) ont été mises en place par la profession et l'INAO. Elles fixent les quotas de rendement indispensables pour la production de vins de qualité, réglementent la plantation de cépages sélectionnés, l'irrigation (interdite en Bourgogne), la chaptalisation, l'ajout de copeaux de bois (interdit en Bourgogne aussi), etc.
Quelle est la réglementation quant à l’utilisation des pesticides dans les vignobles ? Qu’en pensez-vous ?
C'est une réglementation de bon sens qui indique que l'on doit traiter seulement en cas de besoin, c’est-à-dire régulièrement si les pluies sont là, ou traiter en l’absence de vent (pas toujours facile). La réglementation est nécessaire pour éviter les abus et l'anarchie !
Limitez-vous l’utilisation de produits phytosanitaires et pesticides dans vos vignes ou bien est-ce compliqué à mettre en place ?
Avec l'aide de la Chambre départementale d'agriculture, nous limitons l'usage des produits phytosanitaires sur le domaine. La vraie difficulté, en viticulture bio ou conventionnelle, c'est qu'en France, lorsque la vigne a commencé à pousser et que le temps est humide, on doit absolument traiter préventivement. Il est scandaleux de laisser croire aux consommateurs que l'on peut faire du vin sans traitement et qu'on fait du vin bio sans traitement phytosanitaire. Dans les régions humides, le mildiou va se développer rapidement et dans les régions méditerranéennes, l'oïdium sera virulent. C'est le gros problème de la culture de la vigne.Au domaine, depuis plusieurs décennies, nous n'utilisons plus de produits insecticides, ni de produits antibotrytis.
« Nous cultivons nos vignes pour transformer nos raisins en vin. L'homme doit intervenir, alors autant accompagner ce processus de transformation le plus simplement, mais surtout, le plus proprement possible. »
Que pensez-vous des différents labels environnementaux dans le domaine viticole ? À vos yeux, lequel est le plus objectif et fiable ?
La biodynamie, mais pas facile à gérer en cas de forte pression de maladies cryptogamiques.
Selon vous, le vin bio, est-ce vraiment mieux ? Est-ce le bon choix pour les vignerons et les consommateurs ?
C'est très à la mode, mais attention au bio commercial ! Nous sommes un grand nombre de vignerons à respecter énormément nos terroirs, à choyer nos vignes et à faire un vin naturel, c'est-à-dire en appliquant seulement les traitements fongicides nécessaires. Dans notre cave, pas de levures industrielles, pas d'adjuvants œnologiques. Seulement du soufre afin d'éviter les déviations bactériennes indésirables. Nous sommes des artisans et nous sommes certainement "bios" sans le revendiquer.
Que pensez-vous de la certification HVE ?
C'est un joli nom, mais cela n'apporte pas de plus au niveau environnemental : amendements organiques autorisés, produits de synthèses autorisés, désherbage chimique admis sur un pourcentage de la surface, traçabilité des interventions dans les parcelles...À mon sens rien de nouveau par rapport à la lutte raisonnée basique.
Le sulfite est-il indispensable dans la fabrication du vin ? Existe-t-il des alternatives ?
Nous ne sommes pas des producteurs de raisin de table. Nous cultivons nos vignes pour transformer nos raisins en vin. L'homme doit intervenir, alors autant accompagner ce processus de transformation le plus simplement, mais surtout, le plus proprement possible. Un peu de SO2 à la mise en bouteille me paraît indispensable.
Sur le plan des alternatives, bof ! Acidifier son vin, c'est pire que mettre du soufre. Une forte dose de gaz CO2 lors de la mise en bouteille, c'est faire du vin qui picote sur la langue et je n'aime pas ça !
Par ailleurs, faire un vin "nature" ou "sans soufre", est risqué. Cela peut marcher de temps en temps, mais c'est souvent très mauvais, surtout quand le vin rouge est atteint par une bactérie qui donne une odeur d'encre, de sueur de cheval, et on vous vend le vin en vous disant que c'est naturel, que l’on n’a rien fait... Eh bien, non merci !
« Nous sommes des artisans et nous sommes certainement "bios" sans le revendiquer. »

Changement climatique

Ressentez-vous en tant que vigneron l’impact du changement climatique sur votre métier et vos vignes ?
Les hivers sont bien trop doux, ce qui entraîne un mauvais repos végétatif, un débourrement trop précoce et une sensibilité aux gelées de printemps.
L’été 2020, c’était de grosses sécheresses et des températures très hautes (< 40°). Et celui de 2021, une grosse humidité et de la fraîcheur. Ce qui donne deux millésimes très différents et entraîne des phénomènes graves de dépérissements des pieds de vignes dus aux températures en dent de scie.
Comment parvenez-vous à adapter votre culture face aux changements climatiques ?
La profession étudie des porte-greffes (partie souterraine du pied de vigne) qui pourraient être utilisés à l'avenir ou dès maintenant et qui sont plus résistants à la sécheresse, ou encore d'autres porte-greffes qui retarderaient le débourrement. à ce jour, il n'est pas question de changer de cépages, malgré ce que peuvent dire les médias...

Du point de vue du consommateur

Pourquoi trouve-t-on autant de différences de prix entre bouteilles de vin ? Comment ces derniers sont-ils fixés ?
Le prix est libre. En Bourgogne, il y a une hiérarchie des appellations et une renommée différente pour chaque vigneron. On paie la rareté du produit, la Bourgogne étant une très petite zone de production, à l'échelle mondiale. C'est un produit apparenté au luxe.
« Acheter du vin français en circuit court et dont l’on a la garantie d'une réglementation très pointue sur les produits phytosanitaires, qui protège le consommateur et sa santé. »
Qu’est-ce qui vous coûte le plus cher dans la production du vin ?
Cela va vous étonner, mais ce ne sont pas les produits phytosanitaires. C'est la main-d'œuvre qui est indispensable dans notre vignoble, où beaucoup de travaux sont effectués manuellement.
Quels seraient vos critères et conseils aux consommateurs afin de choisir une bonne bouteille respectueuse de l’environnement ?
  • Aller voir le vigneron ou bien aller voir son caviste qui connaît souvent bien le vigneron chez qui il s'approvisionne
  • Goûter le vin pour ce qu'il est et non pas pour son étiquette (appellation ou vigneron renommé ou étiquette proposant un label).
  • Acheter du vin français en circuit court et dont l’on a la garantie d'une réglementation très pointue sur le plan des produits phytosanitaires, qui protège le consommateur et sa santé.
Merci beaucoup à Gilles Lafouge d’avoir répondu à nos questions.
Ketsia Guichard et Laura Larrive